Une réforme fiscale qui oublie (encore) l’environnement

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Le Ministre des finances, monsieur Van Peteghem, a déposé une proposition de réforme fiscale dense et fournie au Gouvernement fédéral. Pour Canopea, cette proposition reste relativement faible et peu ambitieuse, notamment au regard des enjeux environnementaux et sociaux auxquels nous devons faire face.

La fiscalité est un des outils les plus importants à disposition des autorités publiques. En plus d’impacter indirectement les comportements des citoyens et des entreprises (via la fiscalité sur les revenus du travail ou la consommation de tout un chacun via la TVA notamment), elle permet de financer un nombre important de services publics essentiels et de jouer sur les inégalités à travers son caractère redistributif. Elle affecte donc sensiblement le fonctionnement de nos sociétés et permet au Gouvernement d’imprimer la trajectoire de développement qu’il juge la plus opportune. Au niveau environnemental, la fiscalité est également un outil de premier choix étant donné qu’elle permet de favoriser certains comportements plutôt que d’autres.

Vers un impôt plus égalitaire ?

Le but premier de la réforme fiscale portée par le Ministre Van Peteghem est d’alléger la pression fiscale qui repose sur les revenus du travail (parmi les plus élevées d’Europe et du monde), une nécessité au regard de nombreux experts. De ce fait, le Gouvernement allait pouvoir augmenter le salaire poche des travailleurs et booster le marché de l’emploi. Aussi bien sur le plan économique que sur le plan social, il y a un intérêt à diminuer davantage la pression fiscale sur les salaires les plus bas : C’est en effet là que l’impact sur l’emploi sera le plus important (davantage de création d’emplois et une diminution des pièges à l’emploi) et cela contribuera à réduire les inégalités. Il serait donc souhaitable de viser principalement davantage d’équité (une réduction davantage proportionnelle aux revenus) que d’égalité (une même réduction d’impôts pour tous).

Ce n’est malheureusement pas le chemin qui a été choisi par le Ministre. Pour contenter tous les électeurs, il a préféré s’attaquer à une augmentation de la quotité exonérée d’impôts, une réduction uniforme pour tous les contribuables. Il a même choisi de faire un cadeau supplémentaire à la classe moyenne supérieure en élargissant la tranche d’imposition fiscale de 45%, avec un seuil maximal pour cette tranche qui passerait de 46.600€ à 60.000€, pour un coût budgétaire de plus de 400 millions d’euros. A titre comparatif, selon Statbel, le salaire médian est de 3.550€ bruts par mois en Belgique en 2022, soit 46.150€ sur base annuelle. Une mesure qui n’est donc dirigée que vers la moitié des travailleurs avec les plus hauts revenus ! Pour la justification d’une telle mesure, on repassera… D’après le projet de réforme, le but de cet élargissement est de pousser les gens à préférer un emploi à temps plein plutôt qu’un emploi à temps partiel… Le retour du bon vieux « travailler plus pour gagner plus », en somme. Les chiffres liés aux surmenages et aux burn-outs sont pourtant en train d’exploser ces dernières années et une réduction du temps de travail, pour autant qu’elle soit désirée, va généralement de pair avec une amélioration niveau bien-être1.

Si le gouvernement propose quand même une mesure dirigée vers les bas salaires, à savoir une suppression progressive plus lente du bonus à l’emploi, cette mesure reste bien faible par rapport aux autres mesures exprimées ci-dessus. Sans oublier que le projet de réforme n’intègre pas de tranche d’imposition supplémentaire pour les très hauts revenus, pas plus qu’un élargissement de la base fiscale à d’autres revenus que ceux du travail (revenus du capital et du patrimoine), ce qui est pourtant une nécessité socialement parlant.

Le projet du Ministre Van Peteghem ne révolutionne donc pas notre système fiscal en direction des plus faibles de notre société, ce qui aurait pourtant davantage de sens aussi bien au niveau économique que social.

Un shift fiscal… inabouti !

Comme le prévoyait l’accord de gouvernement de la Vivaldi, le projet de réforme fiscale est davantage un glissement fiscal qu’un allègement de celle-ci, l’impact sur le budget de l’État devant être neutre. La réforme propose donc de transférer une part significative de la fiscalité sur le travail vers une imposition plus soutenue de la consommation, principalement les régimes de TVA. Les taux réduits passeraient de 6 à 9%, avec une exception pour certains biens et services qui bénéficieraient d’un taux réduit de 0% et une exception pour le gaz et l’électricité qui resteraient à un taux réduit de 6%.

D’une certain manière, ce projet va dans une direction intéressante au niveau environnemental : les ménages qui consomment moins (ou qui consomment « mieux ») bénéficieront davantage de la réforme que les gros consommateurs. Une certaine sobriété est donc récompensée, même si ce n’est pas explicitement exprimé par les auteurs de la réforme !

Un régime TVA qui ne cible pas spécialement les comportements vertueux/néfastes

Une hausse globale de la fiscalité sur la consommation, donc, qui avantage ceux qui consomment le moins. Mais les régimes spéciaux de la TVA permet aussi de diriger la consommation vers certains biens et services plutôt que d’autres. Au point de vue environnemental, on pourrait donc répartir les taux préférentiels de la TVA sur les biens et services en fonction de leur impact. Le fait de faire passer la TVA à zéro pourcent pour les transports en commun, par exemple, est un très bon signal allant dans la bonne direction. Mais, pour le reste, la réforme laisse sensiblement sur sa faim.

Quelques exemples :

  • On peut saluer la volonté de faire passer la TVA sur les fruits et légumes à 0%. Mais tant pour des raisons de santé publique que d’environnement, pourquoi n’avoir pas réservé ce taux plus bas aux fruits et légumes bio et locaux ? Ce secteur a pourtant besoin du soutien des autorités. Sans oublier que des fruits et légumes produits hors saison sous serres de l’autre côté du globe ont un impact environnemental relativement important et méritent dès lors moins un régime fiscal favorable. De même, le taux préférentiel de 0% pour les fruits et légumes porte également sur les produits transformés. Il faut absolument éviter que des produits comme les frites surgelées puissent bénéficier de ce traitement. La liste des fruits et légumes bénéficiant de ce taux réduit doit encore être précisée, il reste à espérer que ces préoccupations seront prises en compte.
  • Le secteur aérien bénéficie encore et toujours d’un traitement plus que favorable alors que son impact environnemental n’est plus à démontrer. Le projet de réforme n’ose cependant toujours pas s’y attaquer : Pas de TVA plus élevée sur les billets d’avions, pas de taxation spéciale du kérosène qui n’est, pour le moment, pas taxé du tout, …
  • De nombreux biens et services conservent un régime de TVA réduit (9%), sans être pour autant des biens de première nécessité ou des biens à faible impact environnemental. La viande, par exemple, bénéficie de ce régime, malgré une empreinte environnementale importante, tout comme les produits de la mer. D’autres biens et services, comme les services de restauration et d’hôtellerie ou encore les objets d’art et les antiquités, sont traités à ce même taux préférentiel, alors qu’ils sont loin d’être des biens et services de première nécessité. Les soutenir à l’aide d’un taux de TVA réduit va à l’encontre de toute considération climatique ou sociale.
  • D’un point de vue environnemental, la rénovation est le plus souvent plus intéressante que la démolition-reconstruction d’un immeuble, car les matériaux de construction sont très polluants à produire. La démolition-reconstruction est par contre le plus souvent moins chère. Or la réforme sur la table entérine une TVA réduite au même niveau pour les 2 secteurs…Dans un contexte de renovation wave très ambitieuse, on passe ici à côté d’une opportunité significative.

Ce qui est sûr c’est que la volonté de « verdir » la fiscalité a fortement disparu de la proposition du ministre. La réforme ne cherche pas à transférer la TVA sur les consommations qui ont un impact environnemental plus élevé. Si certaines dispositions de la réforme ont spécifiquement un objectif environnemental, on peut estimer qu’elles sont toutefois rares a fortiori par rapport aux promesses faites par le ministre dans sa première épure en juillet 2022, épure qui prévoyait un véritable shift fiscal environnemental.

Ainsi que de nombreux oublis…

En dehors de la réforme sur la TVA, d’autres éléments qui proposaient un verdissement de notre fiscalité dans la première épure du Ministre ont malheureusement disparu des radars dans le présent projet de réforme :

  • Où est le shift fiscal énergétique promis ? Maintenant que les prix des énergies fossiles (gaz, pétrole à l’exception du diesel) redescendent vers des prix raisonnables, il faut éviter qu’ils ne tombent « trop bas » et n’envoient le mauvais signal « gaspiller c’est pas cher » aux ménages et aux entreprises… Ce n’est pas encore le cas, mais les autorités doivent se projeter et veiller à maintenir un signal prix qui pousse à l’efficacité énergétique, à l’électrification des usages (transport et chauffage principalement), voire à une certaine sobriété (dans le respect des besoins de chacun). Le fait d’avoir fait passer durablement le taux de TVA de 21% à 6% pour le gaz, par exemple, risque de faire redescendre son prix à des niveaux historiquement bas, ce qui n’est pas spécialement un bon signal. Le ministre Van Peteghem a annoncé l’instauration d’un régime d’accises spécial qui viserait à compenser un partie la baisse de la TVA, mais nous ne disposons pas d’évaluation chiffrée de cette compensation.. Pour Canopea, il est nécessaire d’avoir un signal prix efficient, visible (c’est a dire qui ne fluctue pas au gré des spéculations sur les marchés de l’énergie), limitant le gaspillage et permettant d’assurer la rentabilité d’un maximum de travaux de rénovation. Ce prix doit être accompagné de mesures sociales ciblées qui permettent de soutenir les ménages en fonction de leurs revenus. Mais il est clair qu’il n’y aura pas de décarbonation de nos sociétés si la seule préoccupation de nos politiques est de garantir de l’essence, du mazout et du gaz pas chers à leurs électeurs…
  • Où sont les aides à la rénovation ? On ne trouve plus de trace de la déduction forfaitaire des frais de rénovation dans le projet de réforme, aides qui figuraient pourtant dans l’épure présentée par la ministre l’automne passé. La disparition de ces aides est interpellante, quand on sait à quel point les efforts de rénovation de notre bâti vont devoir être importants dans le futur afin de respecter nos engagements climatiques. Cela est d’autant plus dommageable que la TVA sur la rénovation passerait de 6% à 9%.
  • Qu’en est-il de la suppression des aides à la pollution ? Il y a une volonté de diminuer progressivement les aides au diesel professionnel, ce qui est une bonne chose, mais on peut regretter fortement qu’aucune sortie définitive du système ne soit programmée dans le futur. De même, si les avantages de toute nature sont réformés, on peut estimer que le fait de ne pas toucher aux voitures de société et aux cartes essence est une nième occasion manquée…
  • Quid du ciblage des aides aux investissements vers la durabilité ? Plusieurs dispositions sont sur la table notamment pour promouvoir la recherche et le développement (déduction fiscale majorée, réduction de précompte professionnel pour les travailleurs impliqués dans la R&D, …). Notons tout d’abord que le débat fait toujours rage pour savoir si ces aides entraînent une réelle augmentation des efforts de recherche et développement dans les entreprises. Néanmoins, il est important, à nos yeux, de soutenir des activités de R&D qui apportent une réelle plus-value à notre société sans recourir au traditionnel saupoudrage à tout va des autorités politiques. Par exemple, est-ce souhaitable de subventionner des recherches en matières d’OGM ou de développement de certaines molécules chimiques ? A nos yeux, les aides doivent être dirigées vers des développements à valeur sociétale positive, notamment dans la transition énergétique ou le respect de la biodiversité. Les entreprises soutenues par des aides à l’investissement doivent, au minimum, s’engager dans des objectifs ESG (environnemental, social ou de gouvernance).

Dans l’ensemble, Canopea juge cette proposition de réforme fiscale assez durement. Si de bonnes choses y figurent, il ne s’agit, à nos yeux, que de petits pas en avant. L’ambition marquée de verdir la fiscalité, présente aussi bien dans l’épure du Ministre de 2022 que dans les recommandations de nombreux experts, est très affaiblie dans ce projet et ne s’attaque que marginalement à des problèmes régulièrement identifiés comme sérieux en matière environnementale. Canopea estime qu’une réforme du système fiscal est nécessaire pour le rendre plus durable, mais aussi plus juste et plus efficace. Ce projet ne va cependant pas dans la direction souhaitée.

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  1. Bjork et al. (2020), OCDE (2010)