Voitures de société : comment vider les caisses de la sécurité sociale quand il faudrait les remplir

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Si l’on excepte les nombreuses personnes et organismes qui en profitent, le constat est largement partagé : le système belge des voitures de société (qui relève de la fiscalité sur le travail) est fondamentalement inéquitable et produit de fortes incidences sur la mobilité et sur l’environnement. En outre, il met à mal les budgets de l’Etat et de la Sécurité sociale. Et, en ce qui concerne cette dernière, la situation est bien pire aujourd’hui qu’il y a une quinzaine d’années.

Cette analyse est parue en Carte Blanche sur le site de La Libre ainsi que dans son supplément Eco du samedi 9 décembre. (Le présent article comprend un tableau récapitulatif absent des publications dans la presse)

Le régime fiscal très favorable appliqué aux voitures de société dans notre pays est dénoncé depuis une vingtaine d’années par différentes instances et organisations régionales, nationales, européennes et internationales. De Canopea (qui publiait un dossier sur la question en 2011) à l’OCDE en passant par le Conseil supérieur des Finances et la Commission européenne, le constat est partagé : le système des voitures de société est profondément inéquitable et produit d’importantes incidences négatives sur la mobilité et sur l’environnement.

Les incidences négatives concernent également le budget de l’Etat et celui de la Sécurité sociale. En 2011, Canopea chiffrait le déficit de contribution au bien public du système de voitures de société (sous l’hypothèse d’un même pouvoir d’achat pour les employé·e·s si ce système n’existait pas) à :

  • 1,8 milliards d’euros pour le budget de l’Etat ;
  • 1,7 milliards d’euros pour la Sécurité sociale.

En ce qui concerne l’impact sur la Sécurité sociale, rappelons que lorsqu’un employeur rémunère un·e employé·e « en euros », il verse à l’ONSS des cotisations sociales à hauteur de 32% du salaire brut. Lorsqu’il remplace une partie du salaire par certains avantages « en nature », il s’acquitte de cotisations ONSS réduites. C’est le cas pour les voitures de société, sur lesquelles est due une cotisation dite « de solidarité ». Son montant, fonction des émissions de CO2 de la voiture, est très (mais alors là vraiment très !) réduit par rapport à celui qui serait dû sur un salaire « euros » équivalent à la valeur réelle de la voiture de société.

Une « anti-indexation »

Sur la période 2007-2022 pour laquelle nous disposons des données, le nombre de voitures de société (voitures « salaires » octroyées à des employé·e·s) a augmenté de 103%. Chaque voiture ayant un impact négatif sur le budget de l’ONSS, l’impact total est bien plus important aujourd’hui qu’en 2007. Et doublement plus important. Car la cotisation de solidarité due par voiture a, en euros courants, baissé de 40% – et chuté de 58% en euros constants (bien que le montant minimal de ladite cotisation soit indexé) !

On trouvera au tableau ci-dessous le détail des calculs. Le nombre de voitures salaires (deuxième colonne) et le montant annuel total des cotisations de solidarité (troisième colonne) sont des données issues de l’ONSS. Les montants annuels totaux exprimés en euros constants (sur base de l’indice des prix à la consommation, l’année 2007 étant prise comme référence) figurent à la quatrième colonne. On trouvera dans la cinquième colonne la cotisation mensuelle moyenne par voiture, obtenue en divisant, pour une ligne donnée, la valeur de la troisième colonne par celle de la deuxième puis par 12 (mois par an). La sixième colonne présente les valeurs des cotisations mensuelles moyennes exprimées en euros constants.

Le SPF Sécurité sociale le rappelle de manière on ne peut plus claire sur son site internet : « Conformément à la loi du 2 août 1971, la liaison automatique des prestations sociales à l’évolution du coût de la vie vise à éviter que le pouvoir d’achat des allocataires sociaux ne soit trop érodé par l’inflation. » Les dépenses de l’ONSS sont donc indexées… mais pas les faibles rentrées des cotisations de solidarité dont le montant est fonction des émissions de CO2 des voitures, lesquelles ont officiellement baissé (ce sur quoi il y aurait beaucoup à dire1…). En forçant à peine le trait, on pourrait dire que le montant moyen de la cotisation a été « anti-indexé ».

 Nombre de voitures salairesMontant annuel total des « cotisations de solidarité »Cotisation mensuelle moyenne par véhicule
 k€ courantsk€ constants€ courants€ constants
2007280 508228 831228 83167,9867,98
2008313 694247 542236 42865,7662,81
2009325 519265 465253 64767,9664,93
2010338 288258 138241 24563,5959,43
2011358 949256 243231 02159,4953,63
2012378 646249 607218 63554,9348,12
2013389 687242 025209 64151,7644,83
2014401 514232 911201 06048,3441,73
2015418 754222 596191 07944,3038,03
2016438 297219 897185 04441,8135,18
2017459 980221 548182 46340,1433,06
2018482 625228 899184 65239,5231,88
2019511 028248 200197 33940,4732,18
2020526 853257 801203 45640,7832,18
2021542 718263 215202 66040,4231,12
2022569 959278 521193 90140,7228,35
Évolution+ 103,2 %+ 21,7 %– 15,3 %– 40,1 %– 58,3 %

Une cotisation qui porte bien mal son nom

Le principe de solidarité qui fonde la sécurité sociale est exposé très clairement sur le site de l’ONSS : « Tout notre système de sécurité sociale repose sur le principe de la solidarité. Les employeurs paient pour leurs travailleurs. Les travailleurs paient pour les malades ou les pensionnés. Les riches paient pour les moins riches. Tout le monde contribue, de sorte que personne ne reste sur le carreau. […] En Belgique, la sécurité sociale repose sur un socle solide : la solidarité. Solidarité entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n’en ont pas, entre les personnes en bonne santé et les malades, entre les jeunes et les personnes âgées, entre ceux qui ont un revenu et ceux qui en sont dépourvus, et entre les familles qui ont des enfants et celles qui n’en ont pas. »

Voilà pour le principe … Dans les faits, le système des voitures de société :

  • déroge au principe de solidarité : la cotisation due sur cet avantage en nature est bien plus faible que celui dû sur du « salaire en euros » – qui plus est, ce sont principalement les personnes qui ont des salaires élevés qui en profitent ;
  • le fait de manière on ne peut plus cynique, la cotisation étant dite « de solidarité » ;
  • le fait de manière de plus en plus importante : le nombre de voitures de société a augmenté de 103% en 15 ans ;
  • le fait de manière de plus en plus importante (bis) : entre 2007 et 2022, la cotisation « d’anti-solidarité » (appellation plus conforme à la triste réalité) a baissé de 40,1% en euros courants et de 58,3% en euros constants.

Dans un avis récent, la Section Fiscalité et Parafiscalité du Conseil Supérieur des Finances estimait que « il est préférable d’éviter d’attribuer des voitures salaires à l’avenir et, au contraire, il est préférable de payer les travailleurs en espèces, ce qui leur permet de juger librement de la manière dont leur salaire doit être dépensé ». Cette analyse, hélas, ne semble pas avoir reçu plus d’attention que celles de la Commission européenne, de l’OCDE, d’économistes de renom ou de … Canopea.

Le système belge des voitures de société pourrait malheureusement être érigé en symbole d’un monde dans lequel la solidarité s’érode. La solidarité qui est l’une des cinq valeurs de Canopea. Raison supplémentaire (en sus des considérations environnementales) pour que, contre vents, marées, constructeurs d’automobiles, sociétés de leasing, employeurs et salarié·e·s attaché·e·s au système, nous continuions à plaider pour son abandon.

Crédit image d’illustration : Adobe Stock

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  1. Voir par exemple aux pages 17 et 18 du dossier L’automobile en questions