Une Opinion parue sur le site de La Libre le 11/08/2025
Le ministre plaide pour une « pause » dans les mesures climatiques au nom de la compétitivité et dénonçant « la naïveté confondante des Européens ». Réaction.
Ces derniers jours, le ministre Clarinval multiplie les interviews, plaidant pour une « pause » dans les mesures climatiques au nom de la compétitivité et dénonçant « la naïveté confondante des Européens ». Mais n’est-ce pas justement sa propre analyse qui manque cruellement de lucidité, tant sur le plan climatique qu’industriel ?
Premier cliché : opposer une Europe « candide » à des États-Unis et une Chine foncièrement indifférents au climat. Loin de la caricature, la Californie — qui pèserait comme la quatrième économie mondiale si elle était un pays — s’est fixé pour objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici 2030 (par rapport à 1990). La Chine ? Imparfaite, mais déterminée : elle vise la neutralité carbone d’ici 2060 et domine déjà le marché mondial du véhicule électrique, accaparant 45% des ventes en 2024, là où l’Europe stagne à 25%. Les vraies dynamiques globales sont autrement plus nuancées.
Il serait naïf, aussi, de croire qu’un pays « en avance » sur le climat existe réellement. Le Climate Action Tracker évalue systématiquement les politiques climatiques : tant l’Europe que les États-Unis sont jugés insuffisants. Qui peut se payer le luxe de fanfaronner ? Aujourd’hui, la question n’est pas de se proclamer champion, mais de savoir qui affiche la volonté concrète d’agir vite, d’assumer la complexité de la décarbonation et de mettre en œuvre des mesures ambitieuses.
La décarbonation n’est plus un choix
Deuxième naïveté : prétendre que l’on pourrait mettre en suspens l’action climatique au nom de la compétitivité. Malheureusement, la décarbonation n’est plus un choix : elle est une obligation urgente et vitale. Le chaos climatique est déjà là, et chaque demi-degré arraché au réchauffement est un pas loin du gouffre, pour reprendre les mot salarmants d’Antonio Guterres.
Troisième naïveté : croire que le marché, seul, pourra relever les défis à venir sans un engagement étatiquefort, notamment réglementaire. Monsieur Clarinval, se réjouit par exemple du détricotage des directives CSDDD et CSRD qui définissaient la responsabilité des entreprises et les modalités de leur rapportage environnemental et social. Ces textes étaient donc des éléments centraux du green deal et ont été vidé de leur substance, par exemple en supprimant la responsabilité sociale et environnementale des entreprises sur leur chaîne de sous-traitance. Le paradoxe ? La « complexité » de ces textes, tant critiquée, résultait de deux années de compromis patiemment négociés avecl’industrie européenne.
Encore une illusion : prendre le PIB pour unique boussole. Il ne saurait y avoir de prospérité sans santé, sans éducation, sans qualité de vie et sans environnement préservé. N’est-il pas temps d’arrêter de se comparer au « modèle » américain ou chinois sur cette unique variable, Monsieur Clarinval ?
La compétitivité, la vraie, impose de répondre à des questions fondamentales : que voulons-nous (et que pouvons-nous) produire en Europe avec sens ? Peut-on disposer d’un MWh d’énergie ou d’une tonne de minerais moins chers que des pétro-républiques ? Avec quels partenaires échanger, selon quelles règles, dans un monde en recomposition ? Ne devrait-on pas limiter un moment certaines consommations en matériaux très polluants, comme le ciment ou l’intelligence artificielle, alors que les ressources planétaires sont déjà dangereusement entamées et que des alternatives existent ?
Plus de débat
Enfin, monsieur Clarinval en appelle au « débat ». Mais quel débat si la consultation sur le plan industriel MAKE 2025-2030, lancée début juillet,exclut les écopreneurs, les PME, les travailleurs, les consommateurs et les ONGs ? Même critique pour le forum industriel wallon du ministre Jeholet. La prospérité industrielle de demain exigera un dialogue sincère, ouvert, incluant tou·tes celles et ceux que la transformation industrielle concerne.
La seule naïveté n’est-elle pas une politique qui ignore les voix prêtes à repenser l’avenir ?
Crédit photographique : Adobe Stock
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