Deux banquiers centraux, deux visions pour la politique industrielle européenne. Là où Pierre Wunsch (BNB) semble se résigner à la sclérose industrielle, Christine Lagarde (BCE) perçoit au contraire la nécessité d’une métamorphose.
Pierre Wunsch , Gouverneur de la Banque nationale de Belgique, a brossé un tableau sombre de l’économie européenne et de son industrie dans une interview accordée au journal De Tijd. Selon lui, l’Europe est aux prises avec un trilemme irréconciliable : préserver le commerce international, maintenir le marché intérieur européen ouvert, ou verdir l’industrie. Selon lui, nous devons renoncer à une de ces ambitions et son choix semble clairement aller vers un abandon de l’objectif environnemental… Dans cet article, il dénonce particulièrement les subventions nationales à l’industrie verte qui, selon lui, perturbent le marché intérieur et critique le système européen d’échange de quotas d’émission de CO2. Pierre Wunsch y voit les éléments d’un retour à l’« Eurosclérose » des années 1980.
Une course aux aides publiques non conditionnées
Le risque d’Eurosclerose est réel, mais pas pour les raisons exposées par Pierre Wunsch. Aujourd’hui la principale menace pour l’industrie européenne est la logique de concurrence entre états membres pour offrir à tout prix les conditions les plus avantageuses à leur industrie. Notamment en Belgique, les grandes fédérations industrielles poussent pour l’instauration d’une ‘’super norme énergétique’’ où l’état compenserait au maximum la différence avec le prix du gaz aux États-Unis.
Coût estimé de cette compensation ? Plus d’un milliard d’euros par an qui forcément se retrouveront d’une manière ou d’une autre sur la feuille d’impôt ou la facture d’énergie des contribuables et des autres acteurs économiques, comme les classes moyennes. Sans résoudre la question de la compétitivité sur le long terme. Un tel soutien sans conditions strictes rappellerait effectivement l’eurosclérose des années 80 où, en Wallonie, les autorités injectaient à fond perdu des aides non conditionnées pour ‘’sauver’’ la sidérurgie.
La métamorphose
Une politique de soutien intelligente doit s’inscrire dans une vision sur le plus long terme et avoir une autre ambition que de prolonger la durée de vie d’entreprises non viables. Elle doit être conditionnée à des investissements à grande échelle dans leur installation industrielle visant à la décarboner, et à la rendre plus efficace et circulaire. Elle doit aussi cibler des secteurs dans lesquels l’Europe dispose d’un vrai avantage comparatif plutôt que, notamment, des secteurs qui reposent sur l’importation massive de gaz et de pétrole couteux… Car une chose est certaine, la force de la Belgique et de l’Europe ne sera jamais d’être concurrentielles sur le prix du gaz ou des matières premières. Il faudra dès lors faire un usage intelligent des régimes spéciaux d’aides d’état prévus par la Commission européenne (CISAF)
L’horizon européen
Plutôt que la sclérose de Pierre Wunsch, nous privilégions largement la vision défendue par Christine Lagarde, la présidente de la BCE la semaine dernière en Norvège. Pour elle, l’Europe ne peut préserver sa compétitivité industrielle et son tissu économique que par un effort massif d’investissements en faveur de la transition verte :
« Soit nous maintenons un statu quo insoutenable et coûteux, soit nous créons un environnement capable de libérer les investissements nécessaires pour une énergie durable, sûre et abordable. »
Pour y arriver, nous devons sortir de la logique de concurrence entre états européens. Notre avenir industriel passe forcément par l’Europe. Cela tombe bien, les discussions sur le budget européen viennent de commencer. Des propositions sont sur la table pour garantir un financement, à la fois via le budget européen régulier et via des prêts conjoints. D’autres discussions auront lieu l’année prochaine, notamment sur l’extension de la taxe carbone aux frontières de l’UE (CBAM). Plutôt qu’un libre-échange débridé et destructeur de la planète, ce système poserait les bases d’un verdissement mondial de l’industrie : ceux qui produisent de manière aussi verte (ou plus) que les entreprises européennes continueraient d’avoir un accès à notre marché.
Une chose est certaine, il existe d’autres solutions que la sclérose industrielle proposée par Pierre Wunsch pour sortir par le haut de la grave crise dans laquelle se trouve l’industrie européenne. Une métamorphose.
Crédit image illustration : Adobe Stock
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