Aménagement du territoire :  nous pourrions être plus sobres, en effet

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La manifestation la plus évidente du manque de sobriété en aménagement du territoire est l’éparpillement de l’urbanisation, forme wallonne de l’étalement urbain. On peut construire partout, loin de tout, car la voiture et le camion font tout pour vous. Deux manifestations plus latentes, mais tout aussi voraces et destructrices, ce sont les demandes de permis d’urbanisme pour remplir les espaces libres dans les quartiers déjà urbanisés, et celles qui visent des maisons non classées, pour « démolir-reconstruire ». La facture environnementale, sociale et économique de toutes ces pratiques est devenue insoutenable. Dès lors, quelles autres formes d’utilisation du territoire pourraient prendre le pas ?

L’équipe d’IEW, dans le cadre de sa réflexion sur la sobriété, a récemment été amenée à discuter de pistes sur « comment être plus sobres » dans toutes les disciplines couvertes par son action : énergie, agriculture, tourisme, mobilité, ressources naturelles, santé, alimentation, etc.

En matière d’aménagement du territoire, voici les pistes qui ont été proposées par mes collègues. Il est important de souligner que les deux chargées de mission Aménagement du territoire ne sont pas intervenues dans le choix des propositions : Aurélie Cauchie faisait partie de l’équipe d’animation de la journée et j’ai participé à d’autres groupes de travail thématiques. Nous avons donc découvert ces propositions lors de la clôture de l’atelier.

Mesures en Aménagement du territoire issues de la réflexion d’IEW sur la sobriété (avril 2022)

  1. faciliter la division de bâtiments existants
  2. travailler sur la fiscalité immobilière
  3. trouver des solutions aux situations d’indivision (qui entraînent souvent la non occupation d’un bâtiment et le manque d’entretien)
  4. diminuer les frais d’enregistrement pour l’achat d’un bâtiment existant
  5. rendre la rénovation moins coûteuse
  6. internaliser les externalités de la construction neuve dans les marchés publics
  7. réquisitionner les bâtiments vides (= inoccupés)
  8. remembrer les zones habitables
  9. Community Land Trust
  10. habitat léger
  11. adapter la taille des logements
  12. éco-design

Quelle belle récolte !

La plupart de ces propositions rejoignent celles du dossier d’IEW « Stop Béton. Le territoire au service de l’urgence environnementale et sociale ».

Les pistes émanent de personnes certes sensibilisées à la question de l’artificialisation, mais qui ne travaillent pas sur les questions immobilières ou fiscales. C’est donc très intéressant que onze de leurs douze propositions aient une accroche juridique et/ou immobilière directe. Il y a clairement une conscience du fait que pas mal de freins au ralentissement de l’urbanisation existent de ce côté-là.

Ironie ou cynisme, le secteur immobilier s’exprime dans les mêmes termes mais en inversant la charge : l’arrêt de l’artificialisation constitue un frein à la croissance du secteur, comme par exemple dans cet article sur l’urbanisation galopante de l’Hérault, en France : « Les promoteurs sidérés devant le défi du zéro artificialisation ». L’article fait aussi écho à des prises de conscience quant à une nécessaire sobriété. A Montpellier comme au Canet, les maires décident de prendre leurs responsabilités pour agir avec plus de parcimonie :

« Les élus, qui admettent avoir tiré sur la corde des réserves foncières, ont commencé à resserrer les vannes. « Aujourd’hui, j’explique en amont aux aménageurs ce que je souhaite. J’exige que des parcelles soient réservées à des équipements publics, et les lots à bâtir sont plus petits », confie Claude Revel, maire depuis 1989 de Canet. L’édile compte faire une pause dans la croissance de sa commune, passée en 30 ans de 1.200 à 4.000 âmes, après avoir observé les effets dévastateurs du modèle pavillonnaire poussé à l’excès, y compris pour les habitants sous pression financière. »

Remember les zones d’habitat

Dans la formule « remembrer les zones habitables » de la proposition 8, j’apprécie la façon sibylline d’évoquer le plan de secteur. Oui, il serait plus sobre de prendre en considération l’habitabilité réelle des terrains et de leur localisation, pour éviter de poursuivre plus avant l’éparpillement et l’artificialisation. Se cache aussi dans cette phrase une espèce de slogan nostalgique : « REMEMBER les zones d’habitat ». Il se pourrait en effet qu’un jour, les zones d’habitat ne soient plus qu’un lointain souvenir, parce que la terminologie du plan de secteur et sa légende auraient changé. Peut-être, sur une note plus pessimiste, il se pourrait que les conditions climatiques amènent les zones d’habitat à être de moins en moins habitables.

Pour en revenir à la proposition 8 stricto sensu, si une révision globale du plan de secteur ne semble pas aujourd’hui à l’agenda politique, cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir à des manières de procéder pour déclasser des zones urbanisables en vue de les préserver de l’urbanisation. Comme, par exemple, d’opérer des remembrements entre parcelles à l’échelle d’une commune, ou de plusieurs communes.

L’éco-design

Les pistes préconisées abordent un point que n’avait pas envisagé le dossier Stop Béton : l’éco-design. Cela vaut la peine d’un peu creuser cette proposition.

L’éco-design, cité en 12 dans la liste des propositions, n’est peut-être pas si éloigné des questions immobilières et fiscales, après tout. L’éco-design consiste à améliorer la conception d’un produit matériel, en se concentrant sur les aspects esthétiques et ergonomiques, de manière à ce que sa fabrication, son utilisation et sa fin de vie forment un cercle vertueux de réutilisation, tout en dépensant le moins possible de ressources et d’énergie.

Le site altermaker.fr en donne la définition suivante :

« L’éco-design est une pratique jumelle à l’éco-conception. L’éco-conception concerne la partie développement et fabrication d’un produit, alors que l’éco-design concerne la partie esthétique et fonctionnelle du produit. C’est une approche écologique et éco-responsable de l’objet. Le but est de limiter l’impact environnemental d’un produit, tout en travaillant sur les aspects esthétiques et une fonctionnalité optimale. Le design est le savoir-faire qui permet de relier les objets, les espaces et les comportements. Et l’écologie étudie les relations de l’homme avec son environnement, dans le but de le préserver. Le principe de l’éco-design peut donc se résumer au respect de l’environnement, à l’utilisation de matières premières biosourcées et à l’utilisation d’un mode de production moins polluant. C’est le même esprit que pour l’éco-conception. Il s’agit de prendre en compte la totalité du cycle de vie du produit. Depuis les matériaux utilisés jusqu’à sa revalorisation et son recyclage. Cette approche a par conséquent un impact sur la consommation. »

L’éco-design trouve à s’appliquer aux immeubles et à leurs composantes, lors de leur conception, mais on peut pousser un peu plus loin le champ d’application et l’utiliser aussi pour rénover et adapter des immeubles existants.

L’éco-design appliqué à la rénovation d’immeubles existants, pour les réaménager en fonction de nouveaux besoins, sans les démolir, en travaillant sur leurs qualités esthétiques intrinsèques, c’est ce que font déjà nombre de propriétaires occupants, par sensibilité pour le bâti en tant que construction globale et pour les détails qu’il contient, les matériaux, les agencements, les finitions, l’atmosphère. Cette façon de procéder s’accorde en outre beaucoup mieux avec des moyens financiers limités.

Or les moyens financiers ne vont pas en grandissant, loin de là, que ce soit pour les familles, les pouvoirs publics, les asbl ou même les entreprises. La rénovation, c’est faire plus avec moins, éviter de polluer en fabriquant, et si on peut se retrouver avec une facture plus modeste à la fin du chantier, qui s’en plaindra ?

La division + l’éco-design = l’avenir ?

Avec une approche « éco-design », je pense que la division de bâtiments existants, citée en proposition 1, pourrait enfin trouver faveur auprès des autorités locales. Et plus particulièrement la division de maisons quatre-façades, qui semble faire peur à beaucoup de gens. Que ce soit dans les communes urbaines, rurales ou périurbaines, il y a aujourd’hui urgence à trouver un terrain d’entente pour des solutions créatives, environnementalement et socialement acceptables, financièrement abordables, pour réutiliser tout ce bâti dispersé, souvent entouré d’un grand jardin. La quatre-façades, produit de consommation, peut ainsi évoluer vers des perspectives plus durables.

Le danger d’un détournement de la proposition – et c’est pour cela que les autorités locales doivent rester très attentives – serait la mainmise sur ces parcelles bâties par des acquéreurs ayant pour objectif de démolir la villa pour la remplacer par un immeuble à appartements (Ce n’est pas du tout cela qui est préconisé ici).

La quatre-façades dans son jardin, produit-phare qui a changé l’économie wallonne.  Dessin de Joël Scuttenaire, dit Skutt. bonjour@un-dimanche-a-la-campagne.bio

Au lieu d’une maison-kleenex, achetée clé-sur-porte, neuve, avec un bilan-carbone de malade et une empreinte environnementale démesurée, la sobriété consisterait à éviter d’en construire d’autres et à se concentrer sur la rénovation et l’adaptation de celles qui existent.

De nombreuses personnes habitant ce type de bien souhaitent le diviser pour pouvoir continuer à occuper une moitié (ou moins, ou plus) et louer ou vendre l’autre partie à d’autres personnes qui ambitionnent de louer ou acquérir un bien avec jardin. Mais cela est aujourd’hui proscrit par des communes – pas toutes, heureusement. Ces communes qui ont pris la division en grippe sont rurales, urbaines, périurbaines. A haut revenu moyen, à bas revenu. La méfiance vis-à-vis des divisions se rencontre partout.

Elle semble principalement motivée par la crainte de se retrouver avec des « trop petits logements » et avec trop d’habitants par logement. A en juger par la taille de la plupart des villas quatre-façades wallonnes, cette crainte paraît peu réaliste. On parle tout de même de biens qui tournent autour des 600 m² de plancher en moyenne, avec des jardins qui font parfois plusieurs hectares. Les diviser en deux, voire en trois, créerait des unités d’habitation dont la surface serait encore nettement au-dessus de la moyenne des appartements… et avec des particularités architecturales nettement plus intéressantes que celles des appartements neufs. Sans oublier le morceau de jardin.

Du coup, intéressons-nous quelques secondes à cette production pléthorique d’appartements dans des immeubles neufs en Wallonie. Outre le fait qu’ils artificialisent et démolissent à tour de bras, ces projets se vantent d’être les champions de la « densité » (sic). N’y a-t-il pas sujet de s’inquiéter, à propos de ces nouveaux biens, d’une réduction des surfaces et des commodités ? L’Institut des hautes études pour l’action dans le logement, institut français, s’est penché sur la question et constate en effet une tendance à l’uniformisation et à la sur-simplification, en France. En se servant du mot sobriété comme d’une nouvelle ligne de marketing, on lance sur le marché des appartements trop petits et incommodes, ou à la bonne taille mais trop chers et terriblement banaux.

L’objectif de mettre le plus grand nombre possible d’unités distinctes sur une parcelle donnée conduit à des situations invivables : à Bruxelles, la multiplication de bureaux et d’unités de logement non traversants pose une menace pour les occupants, puisque cette caractéristique empêche l’aération satisfaisante des locaux. Que se passera-t-il lors des épisodes de canicule ?

On a beau jeu de cultiver l’opposition entre cette production d’appartements et de bureaux et la division des villas, comme si la première était saine et recommandables à tous égards, et la deuxième une dérive anarchique avec un gros agenda caché. Le fait est que la production d’appartements est souvent le fer de lance des entreprises immobilières, tandis que la division de bâtiments est plutôt le fait de particuliers, qui ne disposent pas de bureaux de consultance pour vanter les mérites de leur approche, et qui ne se rendent même pas toujours compte qu’elle est sobre.

Un autre argument contre la division de villas est que ce genre d’action ne remédie pas à la diminution des déplacements en voiture. Cela reste à démontrer et, pour cela, il faudrait peut-être autoriser davantage la division, pour vérifier si cela est fondé. En Wallonie, les déplacements en voiture ne sont pas spécifiquement conditionnés par le type d’habitat. Ils sont conditionnés entre autres par l’éloignement des services, des commerces, du lieu de travail, des autres activités, des amis et de la famille. Ils sont aussi motivés par l’envie de recourir à ce mode de déplacement. Il faut reconnaître que le déplacement en voiture est une question de culture, d’automatisme, et d’esthétique, pas seulement de nécessité. Des quatre-façades, il y en a partout, même au centre des communes. Avec la croissance des zones urbanisées, les lotissements de villas des années 1960 et 1970 ont été rattrapés par l’urbanisation ; des promoteurs construisent actuellement des quatre-façades en plein tissu urbanisé mitoyen, comme à Soignies. Ce qui amène à recourir à la voiture, c’est l’aspect répétitif des trajets piétons dans ces lotissement paysagers qui vous obligent à emprunter invariablement le même itinéraire. A cela, il faut ajouter le sentiment d’insécurité quand on marche, même pour une très courte distance, soit sur des axes empruntés uniquement par les automobilistes, soit dans des venelles tortueuses « spécial piétons » entre deux haies de thuyas géants…

L’éco-design devrait donc appliquer ses solutions créatives non seulement aux maisons individuelles pour proposer des divisions en logements de formes et de tailles variés, mais aussi aux lotissements et aux quartiers, pour parvenir à diversifier les trajets, mettre en valeur les différentes typologies d’habitat, augmenter la liste des activités admises, etc.

Et les outils d’aménagement du territoire dans tout ça ?

La liste des propositions faites par l’équipe d’IEW n’inclut aucune recommandation liée à un outil de l’aménagement du territoire. Cela peut venir d’une méconnaissance des outils, puisque ce n’est pas la spécialité de ces collègues.

Au gré de discussions avec des citoyennes, des membres de CCATM ou des membres de nos associations, il semblerait que le PCDN (Plan Communal de Développement de la Nature) connaisse un retour en grâce – si pas en force. Il constitue une excellente approche proactive, la documentation des situations locales et l’évolution de l’état de la nature sont monitorés par les volontaires, ce qui fait qu’il touche au plus près les réalités environnementales et sociales de la commune. Articuler le PCDN avec le Schéma de Développement Communal permettrait d’anticiper les demandes de permis en affinant la connaissance du territoire de façon à pouvoir dire « voilà ce que nous voulons, voilà ce que nous ne voulons pas (ou ne voulons plus) », exactement comme le résume Claude Revel, le maire cité au début de cette nIEWs.

À méditer => L’aménagement du territoire doit-il continuer à être entièrement organisé autour des demandes de permis d’urbanisation ?

Pour conclure, je voudrais dire que plus de sobriété dans notre rapport au territoire sera certainement bénéfique à tous ses occupants. Afin d’éviter les nuisances auditives, je me retire sur la pointe des pieds et vous laisse contempler cette huile du peintre belge Philibert Delecluse.

Philibert Delecluse, « Le parking derrière les arbres (La lisière du Bois) », 2012, 165 x 56 cm.

Pour en savoir plus :

  • Le tableau qui conclut cette nIEWs a été notamment reproduit dans « Philibert Delecluse, L’homme des glacis », un article d’Anne-Françoise MOYSON pour Le Vif Weekend, n°31, du 2 au 8 août 2013, p. 22-23. Voici la page Facebook du peintre .
  • Jean PELTIER, « Occupons le terrain ! Manuel de résistance aux projets inadaptés, imposés et nuisibles », FIAN Belgium, 2021. Le manuel est disponible en pdf sur le site www.occuponsleterrain.be et en version papier sur commande, également via le site.
  • Le dossier d’IEW « Stop Béton. Le territoire au service de l’urgence environnementale et sociale » est téléchargeable ici : https://www.canopea.be/wp-content/uploads/2019/12/DossierIEW_StopBeton.pdf
  • Des versions papier (20,00 EUR l’exemplaire) peuvent être commandées auprès de l’éditeur : https://www.i6doc.com/fr/book/?gcoi=28001100434740

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