e-Commerce et déchets : les chiffres s’emballent

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Un choix toujours plus grand, une livraison toujours plus rapide, le commerce en ligne a révolutionné nos modes d’achats… mais va devoir également révolutionner le problème d’une gestion des emballages à l’échelle mondiale. La crise du covid n’a fait qu’accentuer le problème. 

Le graphique ci-dessus, issu d’une étude menée par The United Nations Conference on Trade and Development, indique que le recours à l’e-commerce s’est accru du fait de la pandémie de covid 191. Et que donc le problème des déchets générés par ce type de commerce a suivi la même voie. Mais qu’en est-il concrètement de ces déchets2 ?

Depuis quelques années, le commerce en ligne a bousculé nos habitudes de consommation. Aujourd’hui, tout, ou presque est à portée de main grâce à un simple clic. Au-delà des biens, c’est également les « usines du monde » qui vous ouvrent leurs portes via la toile avec une concurrence toujours plus rude pour des nouveautés à prix cassés. Grâce à des progrès technologiques, la sécurisation des transactions financières ou encore les possibilités de livraison rapide, l’e-commerce croît dans des proportions vertigineuses. Le chiffre d’affaire mondial de l’e-commerce a plus que doublé en 5 ans. Il devrait s’élever à 3 453 milliards de dollars en 2019 et atteindre près de 5 000 milliards $ en 2021. Rien qu’en Europe en 2018, l’e-commerce a généré pour 600 milliards d’euros de chiffre d’affaire. La part du commerce en ligne représente aujourd’hui plus de 12% du total des ventes de détail dans le monde, alors qu’elle n’était que de 7,4% en 20153.

Figure : croissance de la part des ventes en ligne sur le total des ventes de détail de 2015 à 2021 (Source Statistica)

On ne parlera pas ici des changements dans l’organisation du travail que la gestion des entrepôts, les envois et livraisons à toute heure nécessitent, ni des conditions imposées aux travailleurs chez les géants de l’e-commerce même s’il y a matière à s’insurger. Quant aux impacts environnementaux, ils sont loin d’être aussi positifs que la promesse de réduire les déplacements laissait supposer. Si dans certaines situations d’achat, la commande en ligne et livraison à domicile peut générer un bilan CO2 plus avantageux, les études sont loin d’être unanimes sur le sujet. Ce bilan dépend fortement du comportement d’achat (commandes étalées, renvoyées,…) et de l’optimisation des trajets jusqu’à la réception du colis4.  Et si certains se réjouissent de l’accroissement de la demande grâce aux facilités offertes par l’e-commerce, les sollicitations constantes, les promos perpétuelles et autres Black Friday nous poussent à consommer toujours plus ; avec l’impact sur les ressources et le climat qui en découle…

Venons-en donc au sujet qui va nous occuper : les déchets. Une des conséquences de la croissance exponentielle de l’e-commerce est la génération d’une quantité impressionnante de déchets. En Europe, près de 10 milliards de colis sont envoyés chaque année. Aux Etats-Unis où plus de 100 milliards de colis sont envoyés par an5, l’Agence de Protection de l’Environnement a évalué que les emballages du shopping online représentaient 30% des déchets solides produits par les ménages aux USA. A San Francisco, les compagnies de recyclage sont noyées sous les déchets provenant des commandes en ligne à tel point que la taxe « déchets » a dû être augmentée alors que la ville est pourtant un exemple en matière d’économie circulaire. En Chine, 50 milliards de paquets ont été envoyés en 2018 avec un record de 1,88 milliards de colis pour les seuls 10 jours suivant le Singles Day6. Tous ces envois engendrent des tonnes de cartons, de plastiques, de ruban adhésif qui une fois le colis déballé, sont dans la plupart des cas jetés.

La question du suremballage est souvent pointée du doigt par les acheteurs. Qui n’a pas été scandalisé de recevoir, pour un objet de petite taille, un colis aux dimensions d’une boîte à chaussure, rempli de papier, de polystyrène ou de plastique bulles (même si vous ADOREZ les éclater). L’objet lui-même étant emballé dans une boîte ou blister d’origine… Bien sûr, le magasin ou la plateforme d’achat en ligne est tenue de vous livrer votre commande en parfait état. Comme les produits subissent en moyenne quatre fois plus de manipulations que dans le commerce traditionnel, de grands renforts d’emballage sont utilisés, pour un volume en moyenne sept fois supérieur. Même si le détaillant expédie du vide, il ne veut prendre aucun risque…

Si certains de ces emballages sont recyclables, ils ne le sont pas à l’infini. En ce qui concerne le papier et le carton, leurs fibres ne peuvent être recyclées que 5 à 7 fois afin de préserver leurs qualités. Par ailleurs, il y a des pertes de matière de l’ordre de 10% à chaque recyclage. Avec l’essor de l’e-commerce, la demande mondiale en carton d’emballage et carton ondulé est en forte croissance, à tel point que TaoBao, le géant chinois de l’e-commerce qui détient entre autres Ali Baba, gère ses propres usines de carton.

Pour d’autres emballages en matières plastiques, soit les filières de recyclage ne sont pas suffisamment développées, soit il n’y a pas de solutions économiquement viables pour les traiter et ils finissent le plus souvent à la poubelle. C’est le cas par exemple pour l’adhésif en PVC. Il ne représente pas grand-chose sur l’ensemble du colis mais si chaque paquet utilise un mètre de ruban, on pourrait emballer 350 fois l’équateur avec l’adhésif de 14 milliards de paquets.

Face à ces montagnes de déchets, certaines sociétés et plateformes de vente en ligne tentent de proposer des solutions.

Amazon est régulièrement critiquée par des acheteurs pour ces excès d’emballage. Alors que son patron, Jeff Bezos, prétend rendre le commerce en ligne plus éco-efficient, une stratégie pour réduire les emballages devenait urgente. Un des problèmes est que les emballages conçus pour la vente en magasin physique ne sont pas adaptés pour les envois : trop volumineux, pensés pour attirer le regard et parfois inutiles pour ce qui est de protéger l’article. Aussi à travers son programme « frustration-free-packaging », Amazon incite les marques vendues via sa plateforme à repenser leurs emballages pour réduire la proportion de ceux-ci et utiliser des matériaux 100% recyclables. Une action qui aurait permis d’épargner 215 000 tonnes de matériaux d’emballage et d’éviter 360 millions de boîtes d’expédition.

D’autres sociétés développent des solutions plus innovantes. On peut aussi citer RePack ou encore LimeLoop qui proposent aux magasins en ligne d’adhérer à un système d’emballage réutilisable cautionné. Le client renvoie l’emballage vide par la poste ou le donne au facteur et reçoit un bon sur un prochain achat. De quoi acheter avec la conscience un peu plus tranquille… Le défi sera de convaincre les entreprises d’adhérer à ce système. ebay avait lancé un système d’emballage réutilisable en 2010 mais n’a pas poursuivi l’expérience car cela implique d’importants changements dans la gestion des stocks et des envois. Mais la nécessité de plus de durabilité dans ce type de commerce et surtout l’avènement de l’économie circulaire pourraient favoriser l’émergence des paquets réutilisables.

Photo Repack + schéma (source : www.originalrepack.com )

Une autre face plus sombre du gaspillage de ressources par le commerce en ligne est liée aux colis qu’on ne voit pas ou plus. Il y a quelques mois une enquête française a fait scandale en révélant qu’Amazon détruisait purement et simplement  des tonnes de produits en parfait état. Explication : Amazon comme d’autres plateforme de vente en ligne, vend des produits de marques partenaires et jouent alors les intermédiaires en stockant et livrant leurs marchandises dans des délais avantageux. Mais le stockage a un coût ! Aussi après 6 mois, les produits qui ne se vendent pas sont, ou bien renvoyés au partenaire à ses frais, soit détruits à un prix compétitif. Pour la marque partenaire parfois située à l’autre bout du monde, il est plus avantageux d’éliminer ces invendus que de le ramener dans ses propres stocks. Une pratique légale et fiscalement avantageuse. De son enquête, le magazine Capital estime à près de 3 millions de produits utilisables détruits chaque année en France, et 300 millions au niveau mondial. Ce « système de destruction massive » est le résultat d’une logique économique par laquelle déclasser un bien neuf au rang de déchet et le détruire est plus avantageux que de le stocker.

Le commerce en ligne doit-il pour autant être banni d’un mode de consommation durable ? Tout dépend de notre relation au shopping en ligne. Sans céder aux tentations continues, aux promos alléchantes et à l’achat compulsif, l’achat en ligne raisonné, qui évite de longs trajets peut présenter un avantage. Même le mouvement Zéro Déchet est à l’heure de l’e-commerce. Des magasins et épiceries en ligne, en vrac et éco-responsables, ça existe7! Commander le produit adéquat, dans la juste quantité, le tout emballé et livré dans des contenants réutilisables. Il fut un temps, le laitier faisait ça…mais il fallait le réinventer !

  1. Covid-19 and E commerce, Finding on a survey of online consumers in 9 countries
  2. l’analyse qui suit a été produite durant l’année 2019
  3. Souce : eMarketer
  4. Voir l’articled’Eco-conso Comment concilier achats en ligne et environnement ?
  5. https://www.fastcompany.com/40560641/can-online-retail-solve-its-packaging-problem
  6. Single Day, sorte de Black Friday en Chine
  7. https://www.lili-bulk.com/fr/

Gaëlle Warnant

Économie Circulaire