En visite au Jardin Punk !

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Au cœur de la rase campagne intensive française, entre les champs de blé, de tournesol et les vignes se cache un jardin punk. Pas n’importe lequel – le Flérial ! Un jardin où Eric Lenoir, paysagiste engagé, expérimente depuis 15 ans ce que pourrait être un jardin vivant, esthétique, et refuge pour les espèces malmenées aux alentours.

Cher.e.s lecteur.rices habitués de Canopea, vous ne trouverez pas dans cet article l’expertise habituelle de mes éminents collègues sur la biodiversité ou la gestion des espaces naturels. Mon expertise à moi se situe dans l’eau et dans les pesticides. Or, des pesticides, il n’en est justement pas question dans ce jardin punk ! Cet article se veut être un simple compte rendu plein d’enthousiasme d’une visite revigorante dans un écrin de nature et de ce que j’y ai appris, quand mon attention n’était pas tout entière à la contemplation.

Photo Agathe Defourny : Chemin tondu qui invite à la découverte de la prairie du jardin Punk

Le jardin punk, c’est quoi ?

Parler du jardin d’Eric Lenoir, d’autres l’ont déjà fait et bien mieux que moi. A commencer par lui-même, qui y a consacré 2 livres : le Petit Traité du Jardin Punk, suivi du Grand. Pour quelques autres ressources sur l’auteur et ses œuvres, littéraires et horticoles, je vous recommande la lecture des articles suivants : RTBF, Jardiner Autrement  

Néanmoins, en 2 mots, le concept : 1.4 hectares de sol hydromorphe, battu aux quatre vents en sommet de plateau, sans matière organique, un sol où rien ne pousse, raison pour laquelle, sans doute, Eric Lenoir a pu acquérir cette terre dans une campagne champenoise où l’accès à la terre agricole est un véritable parcours du combattant. Depuis 15 ans, sur cette terre, Eric ne fait… rien. Enfin si : il observe, beaucoup, il arpente, mais l’entretien se limite à 5 jours de travail par an. Avec pour but de créer un jardin-prairie, aux écosystèmes variés, riches et résilients. Un ilot de vie, et de fraicheur, sans une goutte d’arrosage. On laisse pousser ce qui vient, mais on ajoute aussi certaines variétés, sauvages ou horticoles, pour l’esthétisme, pour l’équilibre, ou pour favoriser le retour d’une espèce présente dans les environs, mais qui mettrait plusieurs dizaines d’années à atteindre le jardin.

Photo Agathe Defourny : plusieurs mares très différentes, où cohabitent plantes sauvages et horticoles, offrent refuge aux espèces aquatiques

Si la philosophie du jardin punk s’adresse bien sûr à tous les heureux propriétaires de lopins de terre, elle doit surtout s’étendre à tous nos espaces publics. Pour que disparaissent à jamais les panneaux « interdiction de marcher sur cette pelouse ».

Photo Agathe Defourny : Les règles du jardin punk

Le rôle des jardins

La visite au jardin punk invite à questionner le rôle qu’on donne à nos espaces verts. Un jardin nourricier ? Contemplatif ? Refuge de biodiversité ? Zone de loisirs ?

Au jardin punk, pas d’espace de pelouse bien tondu où jouer molky ou badminton. Mais néanmoins, çà et là, des ronds d’herbes rases où figurent des rochers savamment disposés pour inviter à la pause et à la contemplation. Pas non plus de grand potager ou de verger – ce jardin-là n’est pas nourricier. Enfin, pas pour nous, parce qu’il l’est pour d’autres : le choix d’espèces plantées favorise les plantes mellifères et les arbres à baies. Néanmoins, par-ci par-là, un néflier au détour d’un chemin, un cerisier dans une haie, un amélanchier dans un massif… Les petits délices à picorer quand on se balade dans le jardin ne manquent pas.

Photo Agathe Defourny : Cerisier aigre

Par contre, un refuge de vivant, certainement ! Batraciens, serpents, oiseaux, insectes, plantes aquatiques, arbustes, fleurs ornementales, vivaces, graminées, futurs grands arbres, le jardin punk regorge d’espèces très variées et diversifiées.

Au fond n’est-ce pas le rôle principal d’un espace vert ? Celui de nous permettre de nous entourer de nature, de nous y reconnecter. Quel intérêt si nos espaces verts sont aussi aseptisés que nos maisons ou nos centres commerciaux ?

Pourquoi une prairie ?

Parce que la prairie est le milieu qui disparait le plus vite en France. Et en Wallonie ? Même si les prairies permanentes représentent 43% de la surface agricole wallonne, 2 phénomènes combinés mènent à une perte rapide de ces espaces :

  • D’une part, la conversion de prairie en culture. Un phénomène que l’UE a tenté d’endiguer, avant de revoir ses ambitions à la baisse dans le cadre de son détricotage du Green Deal et du premier Omnibus. En effet, la PAC prévoyait qu’au-delà d’un taux de conversion de 2.5% des prairies permanentes en cultures, la conversion de prairie soit soumise à autorisation. Avec l’Omnibus, ce taux est risque de passer à 5%.
  • D’autre part, l’urbanisation chaque année de terres qui, même si en zone urbanisable au plan de secteur, ont une utilisation de fait agricole.

La prairie est pourtant un milieu particulièrement intéressant dans nos paysages en général, et dans notre mix agricole en particulier : majoritairement exploitée sans pesticides, zone propice pour l’infiltration de l’eau vers le souterrain, zone refuge pour toute une série d’espèces d’intérêt communautaire et d’espèces protégées, zone plus fraiche en cas de grosse chaleur, zone tampon en cas de grosse pluie, zone d’ouverture de paysages à plus-value contemplative voir touristique…

Pourquoi punk ?

Parce que c’est un jardin anti-système. En refusant à la fois le dictat esthétique de jardins à l’anglaise où tout est bien rangé, mais rien ne vit, et le système de croissance capitaliste qui consomme à outrance chaque année plus d’hectares et plus de ressources naturelles & humaines, le jardin punk ouvre de nouvelles voies.

La voie de l’esthétisme. Est-ce un jardin bien rangé où on voit bien le terreau entre chaque petit plan de surfinia patiemment planté au mois de mai qu’on regarde ensuite mourir gentiment jusqu’à l’automne ? ou est-ce un jardin vivant, où les couleurs s’alternent au fil des saisons, où les herbes trop hautes donnent vie au paysage au gré des courants d’air, où la couleuvre et la demoiselle trouvent refuge quand les champs alentour sont labourés au printemps ?

Photo Agathe Defourny : Rosier à la punk

La voie de la débrouille : récupérer des trucs, mettre des trucs, bouturer des trucs, tester des trucs, les oublier et les redécouvrir, tel est l’esprit du jardin punk. Le budget annuel d’achat de plantes passe de plusieurs dizaines, voire centaines d’euros (le coût dudit plan de surfinia pouvant varier entre 2 et 7 euros… à 0. Exit aussi les frais d’entretien et d’achat de tondeuse, de taille-haie électrique, de souffleur de feuilles. Eric tond uniquement quelques allées qui permettent de circuler facilement dans le jardin, taille ce qui va trop haut ou trop loin, et ne passe certainement pas tous ses week-ends du mois d’octobre à ramasser les feuilles pour ensuite faire la file au parc à container pour les évacuer.

La voie du lâcher-prise : lâcher le « choke » de la tondeuse pour donner à la nature les clés du camion. Accueillir ce qui s’installe, laisser l’arbuste qui fait sa place à un endroit inattendu, accepter que les abeilles sauvages préfèrent loger dans le creux des écorces que dans l’hôtel à insecte savamment installé à côté de la cuisine ou à l’entrée du parc. Se défaire de la pression sociale de la tonte, de l’entretien, des trottoirs aseptisés et de la haie de thuyas taillée en cubes. Et récupérer tout ce temps gagné pour observer, contempler, lire au pied d’un arbre, regarder le ciel couché dans l’herbe, suivre un chemin mystérieux.

La voie de l’espoir enfin. Car si, à chaque soubresaut de crise, notre modèle de société actuel montre à quel point il est voué à l’échec, le jardin punk interroge nos vieilles traditions, nous pousse à réapprivoiser la nature pour ce qu’elle est : un ensemble indomptable qui fait très bien les choses sans nous. Et ainsi à repenser notre place au sein de nos écosystèmes, plutôt qu’au centre de ceux-ci.

Source image illustration : Agathe Defourny, Canopea

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