Et vous, votre budget, vous le préférez comment ?

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Vert ? A l’équilibre ? En trompe l’œil ? Si les questions budgétaires sont rarement abordées dans les débats publics, en dehors de grandes déclarations tapageuses, elles permettent de donner une coloration importante à une stratégie politique et de démontrer vers quelle trajectoire un gouvernement se dirige. Adopter un système de budgétisation verte (ou green budgeting) est crucial pour que le politique démontre qu’il prend les problèmes environnementaux à bras le corps et pour le pousser vers davantage d’ambitions ! Il s’agit, par ailleurs, d’une question importante de démocratie, qui doit se faire en toute transparence avec un effort bien plus considérable au niveau pédagogique.

Parler budget, ça vous tente ? Les gens sont généralement peu emballés par une proposition pareille : trop technique, jouets pour des économistes, aucune utilité, … Pourtant, on est tous amenés à faire du budgétaire, de manière consciente ou pas : quand vous prévoyez d’acheter une maison, quand vous planifiez vos vacances d’été, ou même quand vous partez faire du shopping durant les soldes. En gros, vos réflexions vous amènent à voir comment répartir vos futures dépenses en fonction de vos envies et surtout des moyens disponibles. Ces budgets n’ont généralement pas une portée très stratégique, ils servent principalement à rassurer vos investisseurs : votre banque ou votre conjoint, qui veulent surtout savoir si vous arriverez à nouer les deux bouts !

Pour un gouvernement ou organisme d’intérêt public, la situation n’est pas bien différente. Un budget est proposé chaque année (avec quelques ajustements en cours d’exercice évidemment) pour montrer que la chose publique est bien gérée. Et, encore une fois, il s’agit principalement de rassurer les investisseurs via les agences de notation ou des organismes de contrôle opérant un échelon plus haut (Banques nationales, Commission Européenne, FMI, …). Le ministre du budget s’efforce donc généralement de pondre un plat sans saveur (on reprend, grosso modo, les chiffres de l’année précédente, sans trop les remettre en question) mais qui reste dans les clous imposés par le haut (les critères de Maastricht, par exemple, pour le budget fédéral). L’opposition crie au scandale, accuse le Ministre de manipuler les chiffres, mais oublie de préciser qu’elle aurait fait de même (ou l’a même déjà fait ?) si elle était aux manettes. Au milieu, le public ne comprend pas grand-chose, ne voit qu’une liste sans fin de chiffres qui n’ont aucun lien avec leur vie de tous les jours. Et le monde politique semble se satisfaire de cette situation.

Pourtant, l’exercice budgétaire pourrait devenir un outil politique majeur, le marqueur d’une stratégie claire et ambitieuse ainsi qu’un moyen de renouer le contact entre les gouvernants et les gouvernés.

Pour plus de clarté et de pédagogie

Comme pour l’achat d’une maison ou le choix de vos vacances, un budget public peut se révéler très stratégique et démontrer une direction claire voulue par les personnes aux commandes. Un gouvernement qui décide, par exemple, de couper toutes les subventions aux énergies fossiles pour investir massivement dans l’énergie renouvelable et des mesures d’efficacité énergétique (rénovation massive du bâti, par exemple, et électrification des procédés) sera clairement vu positivement par les défenseurs des Accords de Paris. Le Gouvernement pourrait donc davantage capitaliser sur son budget pour convaincre l’électorat du bien-fondé de son action pour les prochaines élections.

Malheureusement, les choses sont loin d’être aussi claires. On l’a dit, un budget est généralement illisible pour le commun des mortels et est régulièrement soumis aux accusations d’enfumage de la part de l’opposition. Chaque gouvernement gagnerait donc énormément à davantage de clarté, de transparence et de pédagogie dans la présentation de celui-ci. En montrant de la sorte que les deniers publics sont bien gérés, cela permettrait de réconcilier les citoyens avec l’action politique. De même, démontrer plus clairement à quoi servent nos impôts (investissement dans les transports en commun, dans le secteur médical, dans des politiques volontaristes, …) permet de renforcer l’adhésion à un régime fiscal qui bénéficie autant au citoyen qu’il ne lui coûte (pour une analyse de notre fiscalité et de vers où elle devrait aller, voir plutôt cet article).

Pour un green budgeting ambitieux

Un budget clair permet donc d’affirmer une vision politique. Et certains outils peuvent être utilisés pour renforcer cette ambition. Au niveau environnemental et climatique, on parle de « green budgeting », soit une manière d’incorporer, dans le budget, les impacts environnementaux positifs comme négatifs. Concrètement, cela peut se traduire de plusieurs manières, selon le degré d’ambition :

  • Une manière simple serait d’apposer un étiquetage (ou un tag) à chaque ligne budgétaire, selon qu’elle soit verte (avec un impact climatique positif) ou brune (négatif). Un investissement dans l’isolation de logements sociaux, par exemple, tomberait dans la première catégorie tandis que des subsides aux énergies fossiles (on pense notamment à l’exemption de taxes sur le diesel professionnel ou sur le fuel utilisé dans l’aviation) incomberait à la seconde. Cela permettrait de faire un arbitrage entre différentes politiques, mais aussi d’obtenir un solde global pour l’ensemble du budget (XXX millions d’euros taggés verts Vs XXX millions bruns).
  • Une méthode plus sophistiquée serait de faire une analyse ex-ante de chaque ligne budgétaire. Le résultat attendu au niveau environnemental (réduction/augmentation de XXX tonnes de CO2, par exemple) serait donc communiqué en plus du montant budgétaire alloué. Cela permet de faire des arbitrages encore plus précis que dans le cas d’un simple étiquetage. Idéalement, cette approche pourrait même être complétée avec une analyse ex-post, qui reprendrait rétrospectivement les résultats obtenus.

Un simple étiquetage serait déjà une énorme avancée au niveau belge comme au niveau régional. Cela permettrait au public de voir comment l’urgence climatique est intégrée dans les politiques publiques à différents niveaux de pouvoir. Par ailleurs, cette mise en lumière pousserait certainement les gouvernements vers plus d’ambition au niveau environnemental !

Vers une sortie des subsides aux énergies fossiles ?

La Belgique s’est déjà engagée, via son Plan National Energie Climat (PNEC), à sortir progressivement des subsides aux énergies fossiles. Elle publie, par ailleurs, l’inventaire fédéral de ces subventions (dernière édition publiée en avril 2023 et disponible via cette adresse), ce qui peut être vu comme un premier pas vers un green budgeting plus large. Et cela semble porter ses fruits : entre 2015 et 2020, les subventions fossiles ont baissé de 13% pour atteindre près de 13 milliards d’euros, comme nous le montre le tableau ci-dessous ! Le train est donc lancé !

Tableau 1 : Détail des subventions aux énergies fossiles, en millions d’euros

 201520162017201820192020
Subsides directs13.02912.11212.04911.34311.17010.910
   Transferts142144152157178166
   Cartes carburant348327412472530492
   TVA1,91,92,02,22,21,9
   Accises12.53711.63911.48210.71210.46010.251
Subsides indirects1.7431.8641.9952.0662.1162.009
   Voitures de société1.5411.6701.7811.8441.8871.947
   TVA – exonérations aviation20219421422222862
Total14.77213.97614.04413.40913.28612.919
Source : Inventaire fédéral des subventions aux énergies fossiles

Pas si vite quand même ! Une analyse plus fine des chiffre livre des informations plus nuancées. Tout d’abord, on peut voir que, pour la majorité des postes, on observe plutôt une augmentation ! Si le total diminue, ce n’est que dû à la diminution du poste relatif aux accises. Et ce poste est calculé via une technique qui analyse, carburant pas carburant, l’écart de taux par rapport à celui de référence, l’essence sans plomb. La diminution s’explique donc principalement par l’alignement des taux d’accises entre diesel et essence qui s’est opéré jusque 2019. Et 2020 est une année particulière, marquée par le covid qui explique d’autres diminutions, le cas le plus flagrant étant les exonérations de TVA sur les billets d’avion, qui chute drastiquement en 2020 alors qu’elles étaient en augmentation constantes auparavant. Pour les subsides les plus questionnables (i.e. ceux qui sont le moins dirigé vers une transition juste, par exemple les postes sur les voitures de société et les cartes essence), on peut voir que, plutôt que d’observer une diminution, ces postes sont en constante augmentation !

La baisse des subventions fossiles ne découle donc que peu de choix politiques ambitieux, visant à réellement transformer notre société vers plus de durabilité ou vers une trajectoire compatible avec les Accords de Paris. Davantage de publicité sur ces inventaires, couplés à une analyse budgétaire verte plus fine, aiderait à pousser le monde politique à vouloir en faire davantage et à ne pas se retrancher derrière des chiffres qui, comme le clame souvent l’opposition, ne sont principalement que de l’enfumage…

Crédit image d’illustration : Adobe Stock

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