Exposition résidentielle aux pesticides : pour des zones tampons efficaces

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Quelle est la contribution directe des pratiques agricoles du voisinage sur l’exposition générale aux pesticides ? C’est ce qu’on appelle l’exposition dite résidentielle. Elle est définie comme l’exposition liée à la proximité résidentielle de zones agricoles, autrement dit, c’est l’exposition à domicile due aux pulvérisations de pesticides aux alentours des habitations. 

Résumé de l’article 

  • Les agriculteurs, s’ils utilisent beaucoup de pesticides, sont fortement exposés, et leur famille également.  
  • Les domiciles les plus proches des surfaces agricoles sont plus imprégnés en pesticides lors des périodes d’application. L’exposition aux pesticides est largement influencée par l’organisation spatiale d’un territoire. 
  • L’exposition résidentielle aux pesticides est influencée par les périodes de pulvérisation et n’est pas constante au fil de l’année. 
  • Les pesticides au sol diminuent à mesure que l’on s’éloigne d’une surface agricole, de façon linéaire, alors que la dispersion dans l’air est plus variable et aléatoire. 
  • Un lien de causalité entre les activités agricoles et les résidus de pesticides retrouvés à domicile est difficile à faire à cause de (1) l’omniprésence des pesticides dans notre environnement et (2) du manque de données sur les usages des pesticides dans une région donnée 
  • Les écrans de protection physiques tels que les haies sont des options intéressantes pour freiner la dispersion et enrichir la biodiversité des surfaces agricoles. 
  • Nettoyer régulièrement sa maison semble réduire la contamination à l’intérieur 

Avec Canopea nous soutenons : 

  • Un soutien massif à une agriculture qui se passe de produits phyto 
  • Un biomonitoring à destination prioritaire des agriculteurs conventionnels pour mieux évaluer leur exposition dans le contexte wallon 
  • L’établissement de zone tampon, avec un couvert végétal permanent à proximité des zones résidentielles, chemins, routes et sentiers, des zones natura 2000 et des zones d’alimentation de captage. 
  • Une simplification et harmonisation des zones tampons existantes. 
  • Un registre des pulvérisations digital et public, à un niveau de détail suffisant. 

Un peu de contexte 

Discuter de la toxicité des produits phyto est rapidement associée à de l’agribashing, surtout dans une thématique comme celle-ci. C’est pourquoi, précisons d’abord quelques éléments de contexte.  

  1. Les sources d’expositions aux pesticides sont nombreuses et les pulvérisations du voisin fermier en est une parmi tant d’autres : l’alimentation, l’eau, l’usage domestique (anti-poux, jardinage qui représente a lui seul 30% de l’exposition…), traitement du bois acheté en magasin de bricolage… Sous l’appellation pesticide ou biocide, ces produits contaminent largement les objets qui nous entourent. L’agriculteur du coin ne porte pas l’entière responsabilité de cette contamination.  
  2. Ensuite, les agriculteurs sont les personnes les plus exposées aux pesticides. De plus en Belgique, contrairement à la France, les maladies liées à l’exposition aux produits phyto ne sont pas reconnues comme maladies professionnelles (donc pas d’indemnité, d’aide ou d’assistance). Votre voisin agriculteur sera donc immensément plus exposé que vous à ces produits et n’aura aucun soutien de la société pour l’aider. 
  3. Après une pulvérisation, il y a ce qu’on appelle une « dérive aérienne » sur une distance plus ou moins longue qui dépend notamment : des conditions météorologiques (présence de vent, de pluie), de la substance pulvérisée (plus ou moins volatile), des méthodes de pulvérisation (avec ou sans buse anti-dérive), des obstacles sur le paysage (haie, vallée, clôture…). Vous me voyez déjà venir, une distance universelle et claire est difficile à évaluer. Quelle substance, dans quel paysage, avec quelles conditions météo, à quel stade de développement de la plante ?  

Le contexte maintenant mis en place, pourquoi traiter de ce sujet ? Un nouveau règlement européen est en train d’être négocié, appelé SUR pour « Sustainable Use of Plant Protection Products ». L’implémentation de ce règlement permettrait de répondre à l’objectif fixé de diminuer de 50% l’utilisation de produits phytos d’ici 2030. Au cœur de ces négociations, se trouvent les fameuses zones tampons. Les zones tampons sont des bandes de terrain où la pulvérisation de produits phyto n’est pas autorisée. Elles sont aujourd’hui mises en place pour la protection des cours d’eau et des organismes aquatiques, avec des distances variables (de 1 à 6 metres) selon la zone à protéger, la substance pulvérisée, la méthode de pulvérisation, la culture visée… Le tableau ci-dessous illustre la complexité de la réglementation en vigueur. Autant d’exceptions qui rendent la possibilité d’un contrôle quasi-inexistant.  

Le règlement européen prévoit de créer des zones tampons à travers le territoire pour qu’elles protègent également la santé humaine (zones sensibles) et la biodiversité (zones natura 2000). Pour la protection de la santé, l’extension de ces zones tampons a pour but de limiter l’exposition pour « les femmes enceintes et les femmes allaitantes, les enfants à naître, les nourrissons et les enfants, les personnes âgées et les travailleurs et habitants fortement exposés aux pesticides sur le long terme »1.   Les enjeux de santé liés à ces publics sont majeurs (troubles du développement fœtal, malformations, maladies de Parkinson, tumeurs cérébrales…) et décrits dans de nombreuses études (1–6). Et dans les négociations, ces revendications sont abondamment attaquées par les représentants des lobbys pharmaceutiques. 

Habiter près d’un champ peut rendre malade ?! Que dit la littérature scientifique ? 

Voyons un peu dans la littérature, les études qui se sont intéressées aux évènements de santé apparaissant chez les personnes résident proche de ces surfaces, comparé à des témoins éloignés. Ces études se sont posé cette question : quelle est la contribution directe de des pratiques agricoles du voisinage sur l’exposition générale aux pesticides ?  

Selon l’INSERM (7), des tas d’études ont mis en évidence des résidus de pesticides dans les poussières domestiques, ou encore dans les urines d’habitants à proximité de zones agricoles. Néanmoins, il est difficile pas de conclure que l’activité agricole est la cause de cette contamination. Pourquoi ? Comme déjà dit, les pesticides sont cachés un peu partout autour de nous (bois de construction, collier anti-puce du chat…) . Côté agriculture, si les agriculteurs sont obligés de noter les traitement qu’ils ont appliqué sur leurs cultures, des registres de pulvérisation ne sont informatisés et disponibles publiquement qu’en Californie (depuis 40 ans), mais l’Europe est à la traine (voir article sur le sujet). Du coup, impossible de savoir si les pesticides retrouvés dans les urines ou poussières sont effectivement ceux pulvérisés par le voisin. Impossible également de savoir si les cartographies de pulvérisation se superposent aux cartographies épidémiologiques de certaines pathologies (infertilité, certaines tumeurs, maladies neurodégénératives). Impossible de détecter des pics spatio-temporels de certaines maladies (on pense aux activités viticoles par exemple). Pas de données, pas de science.  

Allons donc voir en Californie, dans cette petite étude. (8) Les auteurs ont analysé les pesticides présents dans les poussières de tapis. Parmi les molécules retrouvées, ils ont su aisément retrouver ce qui avait été pulvérisé autour de ces maisons (grâce la base de données en ligne) . Les résultats sont francs : pour la majorité (5 des 7 pesticides), les maisons exposées à des pesticides dans un rayon de 1 250 mètres avaient des concentrations plus importantes que les résidences sans pulvérisation à proximité. 1250 mètres… 

Une autre étude (une méta-analyse cette fois, de plus grande envergure) (4) a calculé la contribution de trois indicateurs d’exposition aux pesticides : (1) le fait qu’un membre de la famille utilise des pesticides à son travail (forte ou faible selon la fréquence et l’ancienneté), (2) la distance entre la maison et les cultures et (3) l’utilisation à la maison de pesticides (jardinage, entretien…). Parmi ces trois indicateurs, Ils ont estimé que (1) dans les habitations d’agriculteurs qui sont fortement exposés, il y a 2,3x plus de pesticides chez ceux qui sont faiblement exposés à leur travail.  Ensuite, (2) les concentrations en pesticides diminuent de 64% pour des domiciles situés à 250 mètres d’une surface agricole, versus 20 mètres (données moyennes issues de 52 mesures dans 7 études différentes).  Et (3) lors d’une utilisation domestique, les quantités retrouvées ne sont augmentées que de 1,3x . 

Pour revenir à nos surfaces agricoles wallonnes, l’étude PROPULPP  réalisée en 2018 avait pour but « l’objectivation de l’exposition des populations aux pulvérisations de produits phytopharmaceutiques en Wallonie et des mesures de protection destinées à limiter cette exposition ». Ce projet, a mesuré des quantités de pesticides dans l’air en bordure de champ (entre 0 et 50 mètres et à plus de 100 mètres), ainsi que les effets des mesures anti-dérives. Les résultats montrent que les dépôts mesurés au sol diminuent bien en fonction de la distance. 80% des dépôts se trouvent dans les 10 premiers mètres au sol. Les écrans de protections (des écrans anti-insectes utilisés dans cette étude) permettent de diminuer de 25% les dépôts au sol. Cependant, pour les concentrations dans l’air, la dispersion ne diminue pas progressivement dans le temps et dans l’espace. Pour certaines molécules, on observe des pics de concentration à plus de 50 mètres de la pulvérisation ou après 48h…  

Avec toutes ces données, le risque pour la santé a été calculé. Pour des enfants, le risque présent jusque 25 mètres, il est calculé à 10 mètres pour les adultes. Rappelons qu’en matière de toxicologie et si les molécules sont des perturbateurs endocriniens, il n’existe pas de dose safe en dessous de laquelle l’humain ne court aucun risque. (9) 

Une étude réalisée au Pays- Bas sur 80 habitations montre qu’il y a plus de pesticides dans les maisons proches (moins de 250m) des cultures (de bulbes de fleurs dans cette étude) surtout à l’extérieur des habitations (mais aussi à l’intérieur) et de façon plus marquée pendant les périodes d’application. Les quantités retrouvées dans l’air étaient plus importants dans les maisons des cultivateurs que dans celles d’autres riverains de champs de bulbes. 

Une autre étude  (10) a montré que le nettoyage fréquent de sa maison, réduisait les quantité des pesticides retrouvées dans le sang ou les urines de ses occupants. 

Selon l’INSERM, les résultats de ces études sont souvent hétérogènes et difficiles à harmoniser, surtout si l’étude ne prend pas en compte les périodes d’application des pesticides.  

Conclusion 

En conclusion, les agriculteurs, s’ils utilisent beaucoup de pesticides, sont les premiers exposés, et leur famille également.  Les domiciles les plus proches des surfaces agricoles sont plus imprégnés en pesticides, surtout lors des périodes d’application et cette exposition est largement influencée par l’organisation spatiale d’un territoire. Les pesticides au sol diminuent à mesure que l’on s’éloigne d’une surface agricole, de façon linéaire, alors que la dispersion dans l’air est plus variable et aléatoire. Les écrans de protection physiques tels que les haies sont des options intéressantes pour freiner la dispersion et enrichir la biodiversité des surfaces agricoles. Un lien de causalité entre les activités agricoles et les résidus de pesticides retrouvés à domicile est difficile à faire à cause de (1) l’omniprésence des pesticides dans notre environnement et (2) le manque de données sur les usages des pesticides dans une région donnée. Enfin, nettoyer régulièrement sa maison semble réduire la contamination à l’intérieur. 

Bibliographie 

1.     Perera FP, Rauh V, Whyatt RM, Tang D, Tsai WY, Bernert JT, et al. A summary of recent findings on birth outcomes and developmental effects of prenatal ETS, PAH, and pesticide exposures. Neurotoxicology. août 2005;26(4):573‑87.  

2.    Van Maele-Fabry G, Gamet-Payrastre L, Lison D. Residential exposure to pesticides as risk factor for childhood and young adult brain tumors: A systematic review and meta-analysis. Environ Int. 2017;106:69‑90.  

3.    Kab S, Spinosi J, Chaperon L, Dugravot A, Singh-Manoux A, Moisan F, et al. Agricultural activities and the incidence of Parkinson’s disease in the general French population. Eur J Epidemiol. mars 2017;32(3):203‑16.  

4.    Deziel NC, Freeman LEB, Graubard BI, Jones RR, Hoppin JA, Thomas K, et al. Relative Contributions of Agricultural Drift, Para-Occupational, and Residential Use Exposure Pathways to House Dust Pesticide Concentrations: Meta-Regression of Published Data. Environ Health Perspect. mars 2017;125(3):296‑305.  

5.    Dereumeaux C, Fillol C, Quenel P, Denys S. Pesticide exposures for residents living close to agricultural lands: A review. Environ Int. janv 2020;134:105210.  

6.    C R, A M, S G, S O, G B, B V. Passive environmental residential exposure to agricultural pesticides and hematological malignancies in the general population: a systematic review. Environ Sci Pollut Res Int [Internet]. août 2021 [cité 3 nov 2022];28(32). Disponible sur: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34165744/ 

7.    Collection Expertise collective. Inserm. Pesticides et effets sur la santé : Nouvelles données. Montrouge : EDP Sciences; 2021.  

8.    Gunier RB, Ward MH, Airola M, Bell EM, Colt J, Nishioka M, et al. Determinants of agricultural pesticide concentrations in carpet dust. Environ Health Perspect. juill 2011;119(7):970‑6.  

9.    Vandenberg LN, Colborn T, Hayes TB, Heindel JJ, Jacobs DR, Lee DH, et al. Hormones and Endocrine-Disrupting Chemicals: Low-Dose Effects and Nonmonotonic Dose Responses. Endocr Rev. juin 2012;33(3):378‑455.  

10.   Teysseire R, Manangama G, Baldi I, Carles C, Brochard P, Bedos C, et al. Assessment of residential exposures to agricultural pesticides: A scoping review. PloS One. 2020;15(4):e0232258.  

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