La migration des grues (Grus grus), c’est comme le bouquet final d’un feu d’artifice : lors des derniers beaux jours ensoleillés d’automne, 300.000 à 400.000 grues traversent l’Europe de l’Ouest, du nord-est vers le sud-ouest, en plusieurs vagues, chacune resserrée sur un court laps de temps. Chaque année, elles passent dans le ciel belge (si le vent les y pousse), et certaines font même une halte d’une nuit dans les Hautes-Fagnes offrant un magnifique spectacle aux observateurs matinaux. Le vendredi 7 novembre, elles étaient 5200 à décoller pour continuer leur voyage vers le sud. Le passage des grues clôture en beauté la saison de migration.
Malheureusement, cette année, la migration des grues fut teintée d’amertume à cause de l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP), plus particulièrement la souche H5N1, qui est en train de décimer les grues depuis mi-octobre, et touche également une vingtaine d’autres espèces. C’est en Allemagne, plus précisément dans le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, un Land du nord du pays, qu’aurait débuté cette épizootie qui touche actuellement les grues cendrées. Des milliers de cadavres ont été découverts en Allemagne, en France et en Espagne. En Allemagne, c’est plus de 10000 cadavres de grues cendrées qui ont été ramassés. En Champagne, et surtout au Lac du Der, une des haltes les plus connues en Europe de l’Ouest, on dénombre également plus de 10000 grues mortes. Quelques-unes ont aussi été découvertes en Belgique, dont au moins un cas positif à la souche H5N1 (ainsi qu’une buse variable découverte chez un particulier). En Espagne, à Gallocanta (Aragon), un autre site d’hivernage célèbre, 900 cadavres ont déjà été recensés. Il est difficile d’estimer la durée de cette épizootie, mais on s’attend à une mortalité de 10 à 15% des oiseaux qui suivent cette voie migratoire d’Europe occidentale. A l’heure d’écrire ces lignes, il semble qu’il y ait des signes de tassement.
L’influenza aviaire : un virus devenu endémique en Europe
Ce virus a été découvert en Europe en 2006 et est devenu endémique depuis plusieurs années, frappant par vagues différentes espèces depuis 2020. Durant l’hiver 2021-2022, ce sont 16000 Bernaches nonnettes qui furent décimées en Ecosse. L’année 2022 fut particulièrement mortelle. L’unique colonie de Fou de Bassan de France fut réduite à peau de chagrin. D’autres espèces coloniales aquatiques et marines ont également été touchées cette année-là en Europe et en Amérique du Nord : Sterne caugek (Thalasseus sandvicensis) et pierregarin (Sterna hirundo), Mouette rieuse (Chroicocephalus ridibundus), Guillemot de Troïl (Uria aalge), Grand cormoran (Phalacrocorax carbo) en Mer Baltique et la Spatule Blanche (Platalea leucorodia) aux Pays-Bas. Aux Pays-Bas encore, la Sterne caugek a perdu 80% de sa population en quelques semaines à peine. En Wallonie, des cas avaient été rapportés, dont certains ont été causés par des relâchers de canards colverts (Anas platyrhynchos) pour la chasse, qui ont ensuite contaminé des espèces sauvages, dont certaines rares et protégées, comme l’Autour des palombes. Mais en Belgique, c’est en Flandre que la grippe aviaire fut la plus sévère. En 2022, on estime à plus de 400.000 oiseaux morts durant cet épisode (et ce ne serait qu’une fraction du chiffre réel), soit le double des épisodes précédents en 2016-2017 et 2021. Depuis, le virus y est présent de façon persistante.
Les rapaces furent également fortement touchés, lorsqu’ils se nourrissent de cadavres infectés. Les faucons pèlerin (Falco pelegrinus) aux Pays-Bas perdirent 30% des individus durant l’hiver 2016-2017.
Les Grues cendrées sont particulièrement sensibles à la souche H5N1. Déjà en 2021 en Israël, plus de 10.000 cadavres furent trouvés et on estime qu’entre 20.000 et 40.000 oiseaux seraient morts le long de la voie migratoire orientale de l’espèce (Sibérie, Moyen-Orient, Afrique de l’est). Au Japon, ce sont les Grues moine (Grus monacha) et à cou blanc (Antigone vipio) qui furent touchées durant l’hiver 2022-2023. Fin 2023, 20.000 à 30.000 individus furent trouvés morts en Hongrie et plus de 500 cadavres en Serbie. Leur comportement grégaire pendant la migration et lors des haltes où elles se regroupent en très grands groupes de plusieurs milliers d’individus parfois, sur un nombre restreint de secteurs favorisent aussi la dispersion du virus. Le contact avec d’autres espèces des milieux humides, (en particulier les Anatidés) qui peuvent être porteuses de ce virus, favorise aussi cette contamination.
C’est un virus qui peut se propager sur de grandes distances, avec la migration (certains individus peuvent être porteurs sans être malades), par contacts directs (même avec un cadavre) ou indirects (eau douce ou fientes contaminées). Les humains peuvent aussi être des vecteurs via la manipulation d’oiseaux malades. Globalement, on estime que le virus peut rester actif dans le sol ou autre matière organique pendant plusieurs semaines.
Une origine probable de cette épidémie sont les élevages intensifs de volailles (dont la loi Duplomb en France vient de faciliter l’implantation), via le transport et l’épandage des déchets (fientes utilisées pour les élevages piscicoles ou comme engrais pour les grandes cultures). Ce qui semble être la piste la plus probable pour cet épisode. Cependant, la pression virale était déjà forte au début de l’été, ce qui est généralement un signe précurseur d’une épizootie à venir.
D’où vient ce virus ?
La souche H5N1 a été découverte en 1996 dans un élevage d’oies en Asie de l’Est. Elle s’est rapidement étendue aux autres élevages. Le virus toucha également des oiseaux sauvages en Asie, principalement les Anatidés, atteignant parfois l’Europe de manière très occasionnelle pendant les périodes de migration. Alors que c’était une maladie qui concernait plutôt les oiseaux d’eau en hiver (lors des rassemblements hivernaux), les souches ont évolué dont certaines sont devenues de plus en plus pathogènes. La souche H5N1, découverte en 2014, se révèle être une véritable menace pour l’ensemble de l’avifaune. Plutôt saisonnière et sur une courte période, réapparaissant par épisodes, elle est maintenant présente toute l’année et touche plus de 300 espèces d’oiseaux (oiseaux d’eau, rapaces, oiseaux marins, corvidés principalement) provoquant des mortalités massives. Même certains mammifères commencent à être touchés, impactant les élevages (en particulier les bovins), et très exceptionnellement l’humain.
Les implications en termes de conservation pour les espèces touchées sont pour l’instant incertaines. Certaines d’entre elles, comme les labbes (Stercorarius sp.), les fous de Bassan, les sternes et les grands rapaces sont des espèces longévives, avec un faible taux de reproduction, ce qui implique qu’un redressement des populations après une mortalité de masse sera lente et très incertaine. Cependant, certaines espèces montrent des signes encourageants et arrivent à reconstituer leurs effectifs. Par exemple, la Bernache nonette (Branta leucopsis) à retrouver 30% de sa population après un épisode de HPAI grâce à fort succès de reproduction. Chez le Guillemot de Troïl, les espaces vacants au sein des colonies ont été rapidement occupés par de jeunes individus.
C’est aussi une catastrophe économique pour le secteur de l’élevage de volailles. Aux Etats-Unis, en 2022, 37 millions de volailles avaient été euthanasiées afin de contenir la maladie.
La seule façon de tenter d’endiguer un tant soit peu la maladie est de ramasser le plus rapidement possible les cadavres. Réduire les élevages intensifs et limiter les contacts avec la faune sauvage. Le potentiel de la vaccination au sein des élevages
Que faire si vous découvrez le cadavre d’un oiseau sauvage ou un individu malade ?
Signalez-le immédiatement au DNF via SOS Environnement et le numéro vert gratuit qui fonctionnent 24H/24 et 7J/7 : 1718 (francophones) ou 1719 (germanophones).
Pour les espèces domestiques, c’est l’AFSCA qui est compétente.
Plus d’infos sur le site du SPW
Références
Crédit image illustration : Adobe Stock
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