Episode 6 : l’irrigation des cultures aujourd’hui et demain

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L’équilibre fragile des nappes aquifères ne pourra fournir assez d’eau pour couvrir les besoins futurs du secteur de l’agriculture en Belgique. Quelles solutions pour éviter d’arriver aux conflits d’usages de nos voisins français dans quelques années ?

FACTS

  • L’agriculture représente actuellement seulement 1% des prélèvements en eau, mais on estime que les besoins du secteur pourraient augmenter de 27% à l’horizon 2100 avec le dérèglement climatique.
  • Les cultures de pommes de terre et de maïs, pourtant gourmandes en eau pour leur production ou leur transformation, ont augmenté de respectivement 320% et 20 % en 30 ans.
  • Sur la même période, la superficie de prairies, garantissant un fourrage de bonne qualité pour les bovins sans irrigation, a diminué de 15%.

L’agriculture est souvent citée comme un gros consommateur d’eau. Bien que cela soit vrai dans certaines régions du monde et du sud de l’Europe, c’est loin d’être le cas chez nous, où actuellement l’irrigation des cultures représente seulement 1% des prélèvements en eau. Cela est principalement dû à la régularité des précipitations dans notre région où il pleut à peu près la même quantité d’eau chaque mois.

En raison des dérèglements climatiques, cette régularité se perd et les besoins en eau pour l’irrigation augmentent afin de maintenir le développement des cultures lors d’épisodes de sécheresse plus longs et plus chauds.

Stress hydrique1 dû à l’agriculture par bassin versant à l’échelle mondiale. Une grande partie du monde est affectée par un niveau de stress important, pour lequel l’eau utilisée par l’agriculture frôle ou dépasse la quantité totale d’eau disponible, tous besoins confondus. Ce n’est pas encore le cas en Wallonie où le secteur agricole ne représente que 1% des prélèvements en eau. Source: FAO2

Projection des besoins futurs en eau pour l’irrigation

Il est difficile de prédire l’augmentation des volumes nécessaires à l’irrigation dans le futur tant cela dépend de différents facteurs, souvent interconnectés et des choix politiques qui seront faits à l’avenir. Parmi ces facteurs, citons principalement l’intensité des dérèglements climatiques (et le respect ou non des engagements pris pour les atténuer) et la transition du système agricole vers une agriculture plus résiliente et en meilleure collaboration avec la nature (et donc la volonté du secteur agricole et politique à s’engager dans cette transition, et jusqu’où).

Cependant, il est actuellement estimé que la quantité d’eau nécessaire pour combler le déficit hydrique des 10 principales cultures de Wallonie à l’horizon 2100 serait de 27% plus élevée qu’actuellement3.

Il est évident que les capacités aquifères de notre territoire, qui présentent déjà une baisse de niveau régulière sur les 20 dernières années en raison de l’imperméabilisation, de la compaction et du drainage du sol, et dont la recharge sera plus faible à l’avenir en raison de précipitations plus inégales, ne pourront faire face à cette augmentation.

Or, on constate déjà, en Wallonie, à la fois une augmentation de la part de cultures les plus gourmandes en eau pour leur développement ou leur transformation dans le mix agricole actuel et concomitamment, une augmentation des demandes de permis pour l’implantation de nouveau forages dans les nappes aquifères pour l’irrigation des cultures.

Evolution des superficies de production végétales en Wallonie entre 1990 et 2021 (Source: Etat de l’Agriculture)

Le graphique ci-dessus présente l’évolution des superficies de productions végétales en Wallonie entre 1990 et 2021. Les différents libellés reprennent les cultures suivantes :

  • Cultures fourragères et prairies : prairies permanentes, temporaires, maïs fourrager et autres fourrages.
  • Céréales : majoritairement le froment, mais aussi l’escourgeon et l’épeautre.
  • Les cultures industrielles : la betterave sucrière, le lin et le colza.
  • Les autres cultures : la pomme de terre.

Depuis les années 90, la culture de pomme de terre a connu une évolution fulgurante chez nous, en raison notamment  de l’explosion de la demande de produits transformés à base de pomme de terre sur les marchés mondiaux (fast foods, frites surgelées, chips etc). La Belgique est ainsi le premier exportateur mondial de produits surgelés à base de pomme de terre. Ainsi, la production wallonne est 16 fois plus élevée que les besoins de sa population (Wallonie et Bruxelles-Capitale) pour cette denrée. A l’inverse, sur la même période, la part de prairies fourragères et de productions céréalières sur notre territoire a baissé.

Or, si la pomme de terre est relativement peu gourmande en eau lors de sa culture (287 m3 d’eau par tonne de pomme de terre produite4), elle l’est très fortement lors de sa transformation. Ainsi, la Wallonie a vu se développer plusieurs usines de transformation de patates, principalement dans l’ouest, qui captent, ensemble, plusieurs millions de m3 d’eau par an pour le nettoyage et la transformation des pommes de terre en produits surgelés.

Les cultures de maïs fourrager ont elles aussi vu leur superficie totale augmenter (+ 20% entre 1990 et 2021), remplaçant une partie des prairies permanentes (-15% sur la même période) et donc l’herbe dans la ration des bovins dans de nombreuses exploitations d’élevage intensif. Le maïs demande pourtant des apports en eau réguliers et supporte très mal les épisodes de sécheresse.

Des périodes plus sèches à venir, et paradoxalement, un mix cultural qui évolue davantage vers des produits dont la culture ou la transformation sont gourmandes en eau : deux éléments qui conduisent vers des besoins grandissants pour l’irrigation, et à une augmentation du nombre de demandes de permis pour la réalisation de forages d’eau.

Solutions et outils à développer

Face à cette situation, plusieurs options, plus ou moins raisonnables ou durables, se dessinent afin soit de limiter les besoins en eau des cultures, soit de trouver des ressources alternatives d’eau d’irrigation. Cependant, selon un récent rapport de la cour des comptes française sur la “Gestion quantitative de l’eau en période de changement climatique”, la protection de la ressource en eau ne sera assurée que par une stratégie de long terme de réduction des prélèvements.

a)     Limiter les besoins en eau d’irrigation

 Ce même rapport pointe les solutions basées sur la nature comme une solution prometteuse et crédible à long terme pour une meilleur adéquation entre le climat futur et les besoins en eau.

Les solutions fondées sur la nature visent à rétablir le grand cycle de l’eau en augmentant le débit des cours d’eau et la recharge de nappes, notamment via une renaturation des sols permettant une meilleure infiltration, via la restauration morphologique des cours d’eau et surtout, la préservation et la restauration de zones humides qui assurent un rôle dans la prévention des inondations et dans la filtration de l’eau.

Au sein du milieu agricole, elles visent aussi à augmenter la présence de haies, d’arbres, de mares et de bandes enherbées dans les cultures, permettant de limiter la hausse de la T° en cas de sécheresse, et donc l’évaporation de l’eau. Ces éléments sont également bénéfiques pour favoriser le retour de la biodiversité dans les cultures, et ainsi limiter l’impact des “ravageurs” dans leurs cultures et donc la quantité de produits chimiques utilisée sur celles-ci.

La mise en place de ces solutions est toutefois longue et implique une modification de fond de la conception des villes, de l’aménagement du territoire et des pratiques agricoles.

Avec la variabilité du climat, avec une alternance d’étés trop secs ou trop pluvieux, la diversification des cultures se profile comme le seul gage de préservation du revenu des agriculteurs. Tout miser sur une culture et un type de semence peut s’avérer être un pari risqué dans le contexte futur. Le développement de nouvelles cultures plus robustes face aux modifications du climat, tel que le chanvre, le sorgho ou le tournesol est également souhaitable, pour peu que la demande pour ces produits soit développée et encouragée en parallèle.

Enfin, une irrigation plus efficiente permet aussi de réduire le volume d’eau consommé. L’irrigation aux heures de fort ensoleillement doit être interdite, une part très importante de l’eau s’évaporant directement sans pouvoir être consommée par les plantes. Les rampes d’arrosage de plusieurs dizaines de mètres de long qui pulsent de l’eau à 2 mètres du sol et dans tous les sens à toute heure de la journée doivent être bannies et remplacées par des systèmes de goutte à goutte plus économes.

b)     Ressources alternatives

Une fois les besoins en eau réduits au maximum, l’utilisation de ressources alternatives pour l’irrigation doit être envisagée.

Parmi elles, la réutilisation de l’eau issue de station d’épuration. Cette eau, issue du réseau d’égouttage domestique, est traitée en STEP (station d’épuration) puis, normalement, rejetée à la rivière. L’Europe a récemment établit un règlement qui fixe des critères de qualité minimum pour l’eau de réutilisation, en fonction des usages. Dans le cadre du plan de relance, la Wallonie finance plusieurs projets, notamment de recherche sur l’utilisation de ce type de ressource chez nous, à des fins d’irrigation directe ou pour réinjection directe dans l’aquifère. Ces méthodes, déjà d’applications dans plusieurs pays d’Europe où la pression sur la ressource en eau est importante, se heurte cependant à des considérations sanitaires majeures. En effet, les résultats de plusieurs monitorings menés en Wallonie5 montrent une présence non négligeable de résidus médicamenteux et de substances à caractère perturbateur endocrinien dans les rejets de STEP. L‘utilisation de cette eau, sans traitement ou filtration complémentaire, comme eau d‘irrigation, risquerait d‘entrainer ces substances vers les eaux souterraines qui en sont pour l‘instant majoritairement exemptes.

Conclusions

La quantité d’eau de qualité adaptée pour assurer les besoins de la société diminue. Les niveaux d’eau souterraine montrent une tendance à la baisse depuis 20 ans en Wallonie et plusieurs masses d’eau sont à risque de dégradation de leur état quantitatif. Cette baisse des niveaux aquifère touche la majorité des pays d’Europe et peut être due à la fois à des prélèvements trop importants par rapport aux capacités de recharge de l’aquifère (c’est le cas notamment pour la nappe des calcaires du Tournaisis, dans l’ouest de la Wallonie), ou à une capacité de recharge qui diminue en raison de l’imperméabilisation des sols, de leur compaction ou de leur drainage. Dans le futur, cette capacité sera d’avantage réduite en raison des dérèglements climatiques, avec des pluies moins régulières mais plus importantes.

Le dérèglement climatique a également pour conséquence une augmentation des besoins en irrigation pour le maintien des rendements de plusieurs cultures. Dans le contexte décrit ci-dessus, une augmentation des prélèvements aquifères pour satisfaire ces besoins est inenvisageable. Tous les outils disponibles, à la fois en termes de réduction des besoins en eau et d’utilisation de ressources alternatives doivent être étudiés et mis en œuvre. A long terme, seule une politique de réduction des prélèvements et une transition du secteur agricole vers des pratiques plus résilientes et plus diversifiées permettra à la fois de rétablir l’équilibre recharge-prélèvement des aquifères et de maintenir des rendements suffisants dans un contexte climatique variable et incertain.

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Retrouvez tous les articles de notre chronique estivale de l’eau : https://www.canopea.be/eau-chronique-estivale-ressource/

  1. Le stress hydrique est un indicateur développé par l’ONU et défini comme le rapport entre la quantité d’eau fraiche captée par un secteur et la quantité totale d’eau fraiche renouvelable disponible sur un territoire. Un ratio entre 0 et 25% représente une absence de stress hydrique, et un ratio 75 et 100% indique un haut niveau de stress. Un rapport plus haut que 100% indique que la quantité d’eau captée par un secteur est plus importante que toute l’eau renouvelable disponible.
  2. The state of the world’s land and water resources for food and agriculture, Synthesis report, 2021.
  3. IWEPS, Cahier de prospective N°4, Risque de raréfaction des ressources en eau sous l’effet des changements climatiques, Septembre 2020
  4. Mekonnen et Heokstra, The green, blue and grey water footprint of crops and derived crop products, Vol1. UNESCO-IHE, 2010.
  5. Projets IMOTHEP & BIODIEN, Issep