La sobriété et ses 5 facettes

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La sobriété, retour à l’âge de pierre ou avancée vers un futur moderne et durable ? Le terme divise et induit des réactions diamétralement opposées : de « répulsif » à « désirable » en passant par « indispensable pour la transition ». Avec le conflit ukrainien et la crise des prix de l’énergie, la sobriété est en tous cas sur le devant de la scène. L’association négaWatt propose une clarification de la « sobriété énergétique » qu’elle distingue de « l’efficacité énergétique ».  Une distinction nécessaire pour pouvoir mieux en débattre. Tour d’horizon.

Dans la langue française, la sobriété, c’est une retenue, une modération voire de la modestie. Parfois vue comme ennuyeuse ou comme l’inverse de l’ébriété, elle s’oppose au gaspillage ou au déballage, sans aller jusqu’à l’ascétisme. « Johnny se donne à Bercy » : Dans ce lieu gigantesque où l’on s’attend à une débauche de lumières et d’effets, le spectacle surprend par sa sobriété.

Aujourd’hui, la sobriété est en tous cas une mise en cause des excès de la consommation de masse, une opportunité de prendre du recul pour améliorer et mettre du (bon) sens, comme le résume très bien le commissaire européen Didier Reynders : « Consommer moins mais mieux ».

Sobriété versus efficacité

Depuis 20 ans dans son scénario énergétique, l’association négaWatt envisage une définition pragmatique de la sobriété en vue de sa mise en œuvre dans les politiques publiques : « la sobriété énergétique est une démarche qui vise à réduire les consommations d’énergie, de matières et d’émissions de gaz à effet de serre, par des changements de comportement, de mode de vie et d’organisation collective, qui soient volontaires et organisés ».

Ici, la sobriété se différencie donc de l’efficacité énergétique, entendue comme les technologies et les innovations techniques, sans changement notable de comportement : isolation des logements, électrification de la voiture, machine à laver de label A…

L’intérêt de cette définition est de montrer à la fois la dimension individuelle et collective, tout en indiquant l’intention d’agir avant qu’il ne soit trop tard (« volontaires et organisés »).

Différentes mais complémentaires

Même si certains la perçoivent comme un « retour à la bougie », la sobriété telle qu’abordée ici n’interdit absolument pas les technologies et l’innovation. Ces dernières sont mêmes désirables quand elles facilitent un changement de comportement, comme une application mobile de covoiturage, ou apportent des solutions concrètes, comme un panneau solaire efficace produisant directement de l’hydrogène.

D’ailleurs, négaWatt intègre la complémentarité des deux concepts dans son logo : combiner le comportement et la technologie permet de réduire drastiquement l’énergie consommée. La sécurité d’approvisionnement peut alors être beaucoup plus facilement assurée par un mix 100% renouvelable et avec moins d’éoliennes et panneaux. Un cercle vertueux si la technologie est utilisée avec…  sobriété.

Que propose négaWatt, à travers 5 facettes de la sobriété.

La sobriété collective ou structurelle

Changer de comportement nécessite des conditions favorables au passage à l’acte et à son maintien. L’exemple phare est sans aucun doute l’absence de piste cyclable ou de transport en commun et un aménagement du territoire « tout à la voiture » : ce sont des barrières majeures pour adopter le vélo ou prendre les transports en commun. Un autre exemple est le matraquage publicitaire vers des destinations exotiques : il rend plus difficile de se satisfaire d’un voyage en train en Europe pour les vacances.

La mise en œuvre de cette sobriété est avant tout collective et donc… politique. C’est à nos gouvernements de créer ces conditions favorables au changement de comportement, à travers une stratégie concertée, qui doit être transversale au gouvernement et ses différentes politiques. En Wallonie, on peut parler du fameux Plan Air Climat Energie, ainsi que des stratégies de rénovation et de mobilité régionales.

La sobriété collaborative ou conviviale

La collaboration est source de réduction des achats en utilisant ensemble ou en se prêtant des équipements entre voisins, amis, collègues, membres de la famille. Cela peut concerner la voiture (covoiturage, partage), la tondeuse, et aller jusqu’à la cohabitation. négaWatt y ajoute aussi les repairs cafés.

Cette facette a donc aussi une dimension conviviale, en créant des moments d’échanges et de lien autour du partage et du prêt. Pour avoir vécu personnellement 4 ans de covoiturage, je peux en témoigner, ça crée du lien !

La sobriété matérielle

On parle ici de faire le choix de vivre sans un équipement ou sans une expérience : sans voiture, sans lave-vaisselle, sans voyager à l’échelle individuelle, ou sans ring autoroutier à l’échelle collective… Cette facette n’interdit pas pour autant l’usage d’un équipement par le partage ou la collaboration.

C’est sans doute la facette la plus radicale et la plus intime et philosophique, celle de la simplicité volontaire. Si elle peut être la plus rebutante pour certains, elle offre aussi de grands bénéfices en réduisant les dépenses et probablement en offrant le plus de liberté : réduction du temps de travail, de l’endettement (individuel ou collectif), libération de désirs suscités par la publicité ou la norme sociale (l’essence du bouddhisme).

La sobriété d’usage

Ce n’est pas parce qu’on a une voiture qu’il faut l’utiliser à toute occasion. Ce n’est pas parce que nous avons de l’éclairage public qu’il doit rester allumé toute la nuit. L’équipement peut susciter le besoin et on parle ici de la démarche de ne pas utiliser un équipement existant.

Pouvant nécessiter un effort constant, certains préfèrent ne pas avoir de voiture que de résister à la facilité de l’employer. Un peu comme ne pas avoir de chocolat à la maison !

La sobriété dimensionnelle

La dernière facette pourrait être assimilée à de l’efficacité technique : réduire la taille, le poids et la puissance d’un équipement (une voiture par exemple) permet de réduire son empreinte à l’usage, mais aussi à la fabrication et en fin de vie ! Cependant, négaWatt le classe dans la catégorie du comportement et du mode de vie, car le choix d’un équipement adapté à nos besoins n’est pas dicté que par l’efficacité. La taille d’une voiture peut être synonyme de positionnement social et est fortement influencée par les tendances sociales. Le marketing automobile l’a d’ailleurs bien compris en promouvant les fameux SUV, dont les marges bénéficiaires sont bien plus importantes que pour les citadines.

IEW défend d’ailleurs au niveau européen les voitures légères et peu puissantes, « Light & Safe Car » ou « LISA car »              .

Une solution transversale et indispensable

Certaines technologies solutionnent un problème mais en créent d’autres ou induisent des effets rebonds : la batterie de la voiture électrique nécessite des métaux précieux qui vont manquer dès 2025 selon l’IEA et dont l’extraction cause des dégâts, la capture du carbone augmente la consommation d’énergie qui sera limitée dans le monde post-pétrole, les panneaux photovoltaïques et les éoliennes nécessitent de la place et des ressources, ou l’amélioration de la consommation des avions a rendu les vols plus économiques et accessibles au grand nombre…

La sobriété quant à elle n’a en quelque sorte aucun effet secondaire environnemental. A consommer sans modération ! Poussée à un certain niveau, elle peut bien sûr avoir des effets économiques en déstabilisant la croissance. (Voir le texte de Noé Lecocq sur Croissance et sobriété) Mais la faiblesse du découplage de la croissance avec son impact environnemental fait plus que nous inviter à la remettre en question.

Au terme de ce parcours, vous disposez à présent d’une meilleure approche de ce qui est entendu par « sobriété énergétique ». Alors ? Retour à la Petite Maison dans la Prairie ou pas essentiel pour rendre notre société plus durable ?

Xavier Gillon

Énergie