Liège Airport, aller-simple pour l’ « enfer climatique »

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Liège Airport pollue autant qu’un cinquième de l’ensemble du trafic routier wallon. Pendant qu’on demande aux citoyens de faire des efforts pour réduire leur empreinte écologique, l’aéroport liégeois souhaite augmenter considérablement son nombre de vols et ainsi ses émissions de gaz à effet de serre. Ne serait-il pas temps d’atterrir ?

S’appuyant sur l’évaluation de l’AwAC[1] relatives aux incidences de l’aéroport et de son futur développement, Canopea (anc. Inter-Environnement Wallonie) (re)tire la sonnette d’alarme : permettre le développement de Liège Airport reviendrait à annuler une part importante des efforts climatiques wallons menés dans d’autres secteurs.

L’aéroport de Liège est le 6ème aéroport européen le plus important en matière de fret et la Wallonie ambitionne de le faire monter sur la plus haute marche du podium de la logistique. Ce qui le disqualifierait d’emblée aux épreuves du développement durable et de la résilience. Parmi tous les avis rendus dans le cadre de l’enquête publique, avis divergents selon que l’on privilégie la dimension purement économique d’un côté ou la santé de la terre et de ses habitants de l’autre, Canopea souhaite s’arrêter sur celui de l’AwAC. Cette agence publique wallonne s’est appuyée sur des données factuelles et de la littérature scientifique pour remettre un avis défavorable.

Les enjeux sanitaires en ligne de mire

L’AwAC tire la sonnette d’alarme sur la pollution de l’air constatée et attendue, qui aura des conséquences tant sanitaires (polluants locaux) que climatiques (gaz à effet de serre).

L’agence souligne que l’étude d’incidences sur l’environnement ignore les aspects socio-économiques de la pollution de l’air et du bruit générés par l’activité aéroportuaire. La nocivité de ces pollutions sur la population riveraine est ainsi exclue de l’analyse. L’agence rappelle les risques encourus tels que l’asthme, les bronchites, les irritations respiratoires, les maladies cardio-vasculaires, les cancers, etc. Les HAP, particules fines et ultrafines, résultant de la combustion du kérozène et fortement émises lors du décollage, représentent la principale menace sanitaire à l’échelle locale.

Certains rétorqueront que l’air ambiant est analysé autour de l’aéroport de Liège depuis une dizaine d’années. Mais, seuls les particules fines (PM10) et les oxydes d’azotes (NOX) sont pris en compte. Et, révèle l’AwAC, la station de mesure est mal située par rapport aux vents dominants. La pollution relevée par celle-ci serait plus impactée par l’autoroute que par l’aéroport… L’AwAC appelle également à mesurer d’autres composés, tels que les particules ultrafines et le black carbon, très néfastes pour la santé et jugées plus pertinentes pour analyser la pollution du trafic aérien.

Liège Airport, une bombe climatique

Sur le plan des dérèglements climatiques, l’AwAC pointe un manquement de taille dans l’étude d’incidences environnementales (EIE). Seules les émissions « contrôlées » par l’exploitant y sont analysées (utilisation au sol des véhicules et des équipements appartenant à l’aéroport, production d’énergie sur site, …). Toutes les émissions liées à l’activité principale, c’est-à-dire les vols d’un côté et l’activité logistique camions de l’autre, ne sont ni comptabilisées, ni évaluées alors qu’elles sont 358 fois supérieures aux émissions contrôlées !

En 2021, Pierre Ozer, climatologue à l’Université de Liège, attirait déjà l’attention sur le fait que les quantités de CO2 émises par la plateforme aéroportuaire explosent à une vitesse telle qu’elles rendent vains la totalité des efforts wallons de réduction de CO2[2].

L’AwAC estime que « même si les émissions de l’aviation internationale ne sont pas incluses dans les objectifs de réduction de GES de la Wallonie, celles-ci doivent être comptabilisées pour évaluer les effets indirects de l’aéroport sur le climat (…).  L’impact climatique ne doit pas s’évaluer à l’échelle d’une région mais à l’échelle de la planète ».

Ces émissions liées au trafic aérien peuvent être estimées par l’intermédiaire de la consommation de kérozène sur site. L’AwAC a ainsi calculé que 1 913 700 de tonnes équivalent CO2 ont été émises par les avions en 2021, ce qui correspond à la consommation annuelle totale de 242.240 européens. Ou encore : les émissions liées à l’aéroport correspondent actuellement à 21% des émissions du trafic routier wallon. Et encore, ne sont ici pas prises en compte les émissions liées au transport de marchandises par camion. Ni les émissions « hors CO» (NOx, particules fines) également très néfastes pour le climat (les émissions “hors CO2” représentent environ 66% du forçage radiatif de l’aviation mondiale).

Le développement du fret détruit l’ambition climatique wallonne pour 2030

La Wallonie s’est engagée à réduire de 55% ses émissions de GES d’ici 2030 (par rapport au niveau de 1990) pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Et dans le même temps, elle encourage le développement d’une activité qui, parce qu’elle pèsera 12% de l’empreinte carbone wallonne totale en 2030, tue dans l’œuf toute possibilité de respecter cet engagement.

L’AWAC nuance également certains arguments technologiques avancés par Liège Airport. Même si des améliorations technologiques auront lieu, celles-ci « ne peuvent contrebalancer que très partiellement les impacts de l’augmentation du trafic aérien ».

Vers un secteur d’emplois plus durable

Ces dernières décennies, l’essor de Liège Airport s’est basé sur le mantra « Sky is the limit ». Depuis, les constats scientifiques sont assez limpides : nous avons dépassé les limites physiques de notre planète et nous, ainsi que tout le vivant, sommes en train d’en faire les frais. Il est temps de sortir du déni. Plutôt que de tenter de maintenir à tout prix le monde d’hier sous perfusion, nous demandons que les fonds publics et privés soient investis dans des projets de transition pour un avenir durable.

« L’extension de l’aéroport va créer de l’emploi », est-il systématiquement répondu aux arguments écologiques. Cette affirmation non-fondée sur des études sérieuses oblitère par ailleurs la question de la qualité et la durabilité de ces emplois, le tout sur fond d’une automatisation croissante du secteur logistique. Souhaitons-nous développer des emplois au service d’un secteur dévastateur sur le plan climatique ?

Les 1,24 milliards d’euros déjà injectés par nos pouvoirs publics dans Liège Airport ont-ils contribué à la création d’emplois durables et de qualité qui prennent part à la réduction indispensable et urgente des émissions de gaz à effet de serre ? Non. Alors il est temps d’arrêter les frais.

Pour reprendre les mots du Secrétaire Général des Nations-Unies – António Guterres – lors de l’ouverture de la COP 27 : “Nous sommes sur l’autoroute vers l’enfer climatique, avec le pied sur l’accélérateur”. La bande d’arrêt d’urgence n’existe pas. Ralentir est la seule solution.

Cet article est paru en Carte blanche dans Le Soir et dans La Libre du 18/11/2022


[1]Agence Wallonne de l’Air et du Climat

[2] https://orbi.uliege.be/handle/2268/256946