Non à une consigne digitale en Wallonie

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Veut-on vivre dans un monde où un enfant doit demander le smartphone de son parent pour jeter sa canette à la poubelle ?

Canopea plaide depuis de nombreuses années pour la mise en œuvre d’une consigne sur les canettes et bouteilles. En effet, bien que la consigne ne soit pas une solution magique à la problématique des déchets sauvages et des emballages uniques, elle comporte une série d’avantages qui pousse la Fédération à plaider en sa faveur.  C’est d’ailleurs dans cette direction que s’orientent les 3 ministres régionaux de l’environnement qui se sont accordés pour la mise en place d’une consigne d’ici 2025.

Face à cette avancée, le secteur industriel, opposé au système depuis toujours, a fait une petite pirouette : une consigne d’accord, mais numérique s’il vous plait ! En pratique : je paye ma canette + le montant de la consigne au magasin, et au moment de jeter ma canette, je scanne un QR code présent sur l’emballage avec mon smartphone pour ‘déconsigner’ mon déchet. Je jette ensuite ma canette dans mon sac bleu, et le montant de ma consigne est reversé sur mon compte en banque. Enfin, ça c’est dans la théorie.

Une regrettable perte de temps

Nous sommes maintenant 15 mois plus tard, et, suite à la proposition faite par le secteur industriel de développer une consigne numérique, la discussion en est toujours au même point. Une étude de faisabilité d’une consigne numérique a été réalisée et présentée au Parlement Wallon. Ses conclusions sont sans appel : la consigne numérique n’est pas mature d’un point de vue technique, ne permet pas d’harmonisation avec les pays limitrophes, présente une accessibilité sociétale très incertaine et ne permet pas de répondre à la problématique des déchets sauvages.

Impact social – pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué

La fracture numérique est le premier frein majeur à la mise en place de ce système de consigne numérique. Alors que la consigne ‘classique’ (je rapporte mes emballages au magasin, je touche un bon d’achat que je peux réutiliser) est connue et maitrisée de tous, la consigne numérique implique l’utilisation d’un smartphone ou d’un scanner à domicile, la mise en place d’un QR code… autant de recours aux technologies qui pénalisent les 29% de la population wallonne en situation de fracture d’attitude face au numérique. Si les personnes âgées sont les premières à qui l’on pense, on oublie également les difficultés pouvant émerger pour les enfants.

Fracture numérique

Veut-on vivre dans un monde où un enfant doit demander le smartphone de son parent pour jeter son emballage à la poubelle ? Alors que des décennies de sensibilisation auprès des jeunes et dans les écoles ont abouti à ce que les jeunes se sentent plus que jamais concernés par les problèmes issus de la pollution et de la génération de déchets, la Fédération estime qu’il serait tout à fait contreproductif d’obliger les enfants à être dépendants du smartphone de leur parent pour adopter les bons réflexes de tri. Le réflexe du tri doit être accessible à toutes et tous, facilement, pour garantir une qualité de tri et, in fine, une recyclabilité des matières qui soient les plus grandes possible.

Dans son excellent podcast Le Tournant sur la numérisation des services, Arnaud Ruyssen rappelle que réduire la fracture numérique, ce n’est pas uniquement motiver les citoyens à s’adapter à un environnement toujours plus numérique (politique d’insertion) – c’est également faire en sorte d’adapter l’environnement numérique à la diversité des citoyens (politique d’inclusion) (minutes 21’ jusque 24’, même si tout l’épisode vaut la peine d’être écouté).

Utiliser son smartphone pour mettre son déchet à la poubelle, c’est également le rendre toujours plus indispensable dans notre quotidien, et se priver davantage de notre droit à ne pas toujours être connecté.

Enfin, l’étude récemment menée par TestAchat sur la consigne numérique conclut que bien que 2 consommateurs sur 3 soient favorables à la mise en place d’un système de consigne, cette proportion diminue fortement dans le cadre d’une consigne numérique. Moins d’une personne sur cinq accepterait de télécharger une application sur son smartphone pour déconsigner ses déchets, a fortiori si cette application nécessite la communication de la géolocalisation ou de coordonnées bancaires, ce qui est proposé dans les scénarios 2 et 3. 

Mettre en place un système de consigne numérique risque donc bien de limiter très fort l’adhésion des citoyens au système, alors que la mise en place d’un système de consigne est avant tout une demande forte et de longue date portée par société civile et que le succès à long terme du système dépend précisément du taux d’adhésion de la population.

La consigne numérique se présente donc comme un système non inclusif et pour lequel l’adhésion des citoyens est plus faible.  

Pénibilité pour le consommateur

La consigne ‘classique’ est souvent pointée du doigt pour son aspect « désagrément pour le consommateur ». Pour la Fédération, ce désagrément potentiel est pourtant un des principaux éléments que le consommateur a en tête quand il répond à une étude sur la mise en place d’un système de consigne.

Les citoyens ont répondu à plus de 66 % en faveur de la consigne sur les canettes et les bouteilles PET. Ces derniers mois d’auditions sur le sujet ont montré que le débat sur la consigne était plus épineux qu’il n’en avait l’air, et sans doute que beaucoup d’entre vous et nous qui y étaient très favorables au départ, ont trouvé leurs ardeurs un peu modérées faces aux difficultés et impacts potentiels du système. Mais il est évident que quand un citoyen dit « oui » à la consigne, il n’a pas conscience de tous les détails de financement. Mais ce qu’il dit, c’est « oui, je suis d’accord de changer mes habitudes, de rajouter un bac de tri dans ma cuisine, de penser à prendre mon bac pour aller le déconsigner, de ne pas perdre mon bon d’échange… En résumé, oui, je suis d’accord de me compliquer un peu la vie pour que mon environnement soit plus propre et donc améliorer mon cadre de vie, pour être sûr qu’une plus grande proportion des emballages de boissons soient captés par le système, pour être sûr qu’une plus grande partie des matériaux qu’ils contiennent soient recyclés et remis sur le marché ».

Tous les arguments visant à dire que c’est contraignant, que les gens ne vont pas jouer le jeu, que changer les habitudes c’est compliqué, nous paraissent infondés puisque ces « désagréments » sont certainement l’aspect majeur que les citoyens ont en tête quand ils répondent oui à une très grande majorité à la mise en place d’un système de consigne. La Fédération suggère dès lors de ne pas laisser une étude parler à la place des citoyens quand ceux-ci se sont exprimés massivement sur le sujet.

Impact environnemental de la consigne numérique

L’étude conclut que les deux types de consigne, numérique ou classique, apportent des bénéfices environnementaux, ce qui confirme l’intérêt de la consigne d’un point de vue environnemental.

Mais Canopea estime qu’un impact environnemental majeur a été négligé lors de cette évaluation : l’impact environnemental du numérique.

Impact environnemental du numérique

Canopea regrette que l’étude ne précise pas si elle a tenu compte ou non des impacts du numérique. En effet, la différence entre la consigne classique et numérique est que cette dernière nécessite la génération d’une quantité importante de données numériques. L’étude balaye la question en une phrase, concluant que « les impacts du numérique pour les scénarios avec une consigne digitale sont très limités car ils représentent moins d’un pourcent des impacts totaux sur le changement climatique ».

La consommation d’énergie liée au numérique est pourtant actuellement en hausse de 9 % par an, ce qui a permis à l’association The Shift de conclure qu’actuellement, la transition numérique contribue d’avantage au dérèglement climatique qu’elle n’aide à le prévenir. En effet, si la transition numérique est souvent considérée comme un moyen de réduire la consommation d’énergie, les effets rebond liés à la croissance de son utilisation sont systématiquement sous-estimés.

Le développement à tout va du numérique présente en effet un lourd bilan carbone. D’une part, la part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre a atteint 3,7 % du total des émissions mondiales en 2018. The Shift Project, loin de réfuter l’intérêt et la nécessité de la transition numérique, conclut que l’impact environnemental de celle-ci sera gérable si on lui applique le principe de sobriété numérique : choisir les équipements les moins puissants possibles, les changer le moins souvent possible et réduire les usages superflus. Pour Canopea, la mise en place d’un système numérique s’inscrit tout à fait à l’encontre de ce concept, puisque la consigne numérique vise à numériser un service qui peut, et qui est actuellement, tout à fait être rendu de manière « non-numérique », pour un gain environnemental global (passage du non-numérique au numérique) qui ne diffère pas d’un scénario à l’autre (bénéfices environnementaux similaires pour la consigne numérique ou classique).

D’autre part, la transition numérique capte des ressources nécessaires à l’urgente transition énergétique, notamment les métaux rares. Considérant une disponibilité en métaux rares limitée par des facteurs physiques, économiques et géopolitiques, vaut-il mieux prioriser l’usage de ces matières pour la transition énergétique (électrification et renouvelable) ou pour la mise en place d’un système de consigne numérique ?

Ce qu’un système optimal doit offrir

Pour la Fédération, un système de consigne optimal doit présenter les caractéristiques suivantes :

  • bénéficier d’un bon soutien de la population afin de garantir un taux d’adhésion optimal ;
  • être mature technologiquement afin que des problèmes techniques n’entravent pas la mise en place du système et donc l’adhésion des citoyens ;
  • être harmonisé sur l’ensemble des trois régions du pays, mais également avec les autres états limitrophes afin que les transferts transfrontaliers ne constituent pas un effet de bord ;
  • être accessible à tous et inclusif ;
  • constituer un premier pas vers d’avantage d’emballages réutilisables et consignés à l’avenir.

Selon Canopea, seule la mise en place d’un système de consigne « classique » permet de cocher l’ensemble de ces critères actuellement.

Crédit image d’illustration : Adobe Stock

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