Pub : Magnette aux manettes ?

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Il y a peu, dans le cadre d’un intéressant podcast 1, le Président du parti Socialiste, Paul Magnette, se prononçait pour l’interdiction de la publicité à destination des enfants et pour tous les produits néfastes pour l’environnement et la santé. « Je crois que la publicité devrait être régulée infiniment plus que ce n’est le cas aujourd’hui » avance-t-il avec conviction. Le sujet fut ensuite l’objet d’un débat dans l’émission Déclic du jeudi 19 janvier.

De telles affirmations sur l’interdiction ou la régulation de la publicité dans la bouche de responsables politiques de la stature de monsieur Magnette sont suffisamment rares pour que l’on prenne la peine de s’y arrêter.

Bravo monsieur Magnette !

Tout d’abord, et sans réserve aucune : bravo !! De nombreux·euses citoyen·nes et associations travaillant depuis longtemps sur le sujet attendent une telle prise en compte de leurs souhaits/revendications par le monde politique qui était plutôt très réservé jusqu’à présent. Il est vrai que le sujet revient de plus en plus fréquemment sur la table, notamment quand il est question de « sobriété » (choisie, bien sûr) comme orientation politique nouvelle pour faire face aux exigences des défis sociétaux majeurs : le climat, la biodiversité, l’égalité sociale… Le dernier rapport du GIEC recommande la régulation de la publicité pour lutter contre la surconsommation qui participe aux dérèglements climatiques. Un tableau d’ensemble de cette problématique que constitue la publicité dans le monde en profond changement a été brossé dans cet article.

Quelques bémols

On ne peut s’empêcher de sourire quand le président des Socialistes affirme : « On a progressé, quand j’étais enfant il y avait la publicité pour le tabac, pour l’alcool, absolument partout, on a quand même progressé, cette publicité-là est interdite… ». En réalité, l’état des lieux de ce qui s’est fait entre 1980 et aujourd’hui est vite fait et le bilan est très très maigre. Arnaud Ruyssen, dans Declic, en a fait le tour en moins de 3 minutes 2. En résumé : en plus de 40 ans, la seule chose qui s’est vraiment passée, c’est que le secteur de la publicité a imposé le principe de l’auto-régulation dès qu’il a pressenti qu’on pourrait lui mettre des bâtons dans les roues. La chose étant acquise, le dossier s’est entièrement dépolitisé, orientation bien soutenue par le traumatisme vécu par Ecolo autour de Francorchamps… Le secteur, lui, a renforcé, le mot est faible, son emprise, boosté par le numérique, à un point tel que se pose la question des possibilités d’encore le « contenir » : « on sait que la pub a évolué, (…) on sait que les plateformes numériques basées aux Etats-Unis vendent nos données aux annonceurs (…) est-ce que c’est vraiment pratiquement possible de prendre des mesures d’interdiction de la publicité ? » s’interroge Arnaud Ruyssen.

Le reste, c’est-à-dire les chartes et autres codes (type Febiac, le code de la publicité écologique…) ne sont jamais que des pis-aller qui permettent aux entreprises et au secteur de garder la main en lâchant quelques miettes pour dégonfler toute velléité de changement.

Pub et chaînes publiques (1)

La perplexité est de mise quand Paul Magnette souhaite qu’il n’y ait « plus une goutte de publicité à la RTBF » au moins en radio, comme sur France-Inter, et, en passant, incrimine la chaîne publique d’être une source de résistance non négligeable aux mesures « plus radicales ». Mettons les choses en perspective avec cette remarquable vidéo relative à la publicité sur… France-Inter (qui donc est une des antennes de Radio France où la publicité est autorisée mais régulée) de l’excellente émission sur l’écologie La Terre au carré.

https://www.youtube.com/watch?v=Z-OSkglwpVw&ab_channel=FranceInter

On le voit, entre le réalisme cynique du directeur de la régie publicitaire, la remarquable langue de bois de la directrice de la chaîne publique et la volonté de régulation des animateurs de l’émission, les choses ne sont pas simples.

L’argent (sale ?) de la pub

D’un côté on a des recettes publicitaires qui paient cash : 30 secondes et hop 16.000 euros ! Et de l’autre peine à émerger une approche rationnelle solide mais complexe : la prévention en matière climatique et de santé coûte nettement moins aux Etats que la réparation ; la publicité est un réel obstacle à la prévention 3et, à ce titre, elle devrait être régulée voire interdite et remplacée par des messages socio-éducatifs financés notamment par les économies d’argent public liées à cette prévention – mais pas que.

La seconde voie, vertueuse, déplait bien sûr à l’industrie qui, pour la contrer, lance sa horde de lobbyistes qui l’attaquent avec une vigueur qui n’a d’égale que sa mauvaise foi (et les budgets y consacrés). Le politique, qui prend conscience de l’ampleur des secteurs dépendant de la pub, tergiverse et cède en acceptant, comme mentionné plus haut, l’auto-régulation prônée par le secteur. Et la première voie, celle de l’argent rapide et facile prend le dessus sur l’approche réfléchie et cadrante.

Que cet argent soit de l’argent du privé qui met ainsi sous sa coupe des pans entiers de l’espace public et de l’espace culturel (et bien sûr de l’espace mental) égratigne la gauche et satisfait la droite. L’une et l’autre se rejoignent cependant sur l’importance de veiller aux finances publiques tout en cultivant, paradoxalement, une idéologie « anti impôts », certes pour des raisons différentes, laquelle hélas contribue à réduire toujours plus ce « trésor collectif commun » qu’est le budget de l’Etat.

– Pause pub –

Là, on va, « comme dans la vraie vie », se faire une petite pause pub !! Où il est question d’impôts, de crise énergétique et d’aides à ceux dont les moyens sont mis à mal.

Les mesures individuelles d’économie d’énergie : ☹️,

payer moins d’impôts : 😀

Dans le genre, KBC (qui détient CBC à 100%) fait encore plus fort : « Besoin d’un budget supplémentaire pour traverser les mois d’automne ? Passer temporairement jusqu’à 750 euros en dessous de zéro sur votre compte » ! (sans préciser qu’il s’agit d’un crédit facturé à plus de 9% d’intérêts). « Il ne s’agit pas de publicité ciblée » affirme, le petit doigt sur la couture du pantalon, le porte-parole de la banque. 🤨

– Fin de la pause –

Que cet argent (les recettes publicitaires donc) provient d’industries qui ne prospèrent que dans une économie politique de la consommation d’abondance ne devient embêtant, surtout pour la gauche à nouveau, que lorsque l’on constate que cette doctrine économique creuse toujours plus les inégalités. Précisons en passant que les industries qui dominent sur le marché de la pub sont : l’automobile (dont majoritairement des SUV), les fast-food, les sodas et les paris et jeux de hasard.

Que cet argent soit explicitement investi pour créer une insatisfaction organisée aux fins d’une sur-consommation chronique climaticide et qui porte atteinte à la santé de la population n’a que peu ému jusqu’à présent. Le terme de pression publicitaire n’est pas innocent : une augmentation des dépenses de publicité conduit à une augmentation de la consommation ; les consommateurs, pour financer cette consommation additionnelle ont tendance à augmenter leur temps de travail et, au bout de 3 ans, à commencer à puiser dans leur épargne 4 !

Que cet argent soit mis au service non de l’information, mais de la persuasion et de la « manipulation neuro-psychologique » en utilisant par exemple des technique d’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle, n’inquiète que peu le monde politique… sauf peut-être monsieur Magnette ?

Tous ces aspects de l’industrie publicitaire (et de ses commanditaires) ont, jusqu’à présent, été déniés par la plupart des partis politiques qui persistent à penser que l’on peut continuer ainsi alors que tout montre que l’on doit radicalement changer. Les attitudes des principaux bénéficiaires des recettes sont, elles, multiples et très variées et elles mériteraient qu’on s’y arrête. La crainte que l’on touche à ce moyen financier est réelle.

La question, particulière, de la « compensation » de la perte de ces revenus pas très nets est évidemment importante, et des propositions, à affiner, sont faites plus bas.

Les déclarations de monsieur Magnette sont-elles l’indice d’un réveil, d’une prise de conscience liée à la perception du monde qui change ?

Pub et chaînes publiques (2)

Revenons aux propos de monsieur Magnette : la radicalité de l’exigence vis-à-vis de la radio publique est étonnante, notamment parce qu’à travers le contrat de gestion – qui vient juste d’être conclu pour 5 ans – entre la Fédération Wallonie Bruxelles (politiquement dominée par le PS) et la chaîne publique, le politique a à sa disposition un outil privilégié pour agir… Or, comme le souligne Arnaud Ruyssen dans un article récent, il n’y est nulle part question de suppression de la publicité pour qui que ce soit.

Il est vrai qu’exiger cela de la chaîne publique, tout restant égal par ailleurs, reviendrait à offrir aux chaînes privées des parts de marché : l’exemple de France Télévision et de la VRT sont édifiants à ce titre.

Les socialistes lancent des slogans, les Ecolo/Groen bossent ?

Qu’avons-nous de concret ? Une proposition Ecolo/Les Engagés sur l’interdiction de la publicité pour certains véhicules automobiles, une proposition de loi Ecolo/Groen sur l’interdiction de la publicité pour l’énergie fossile et une proposition Ecolo/Groen toujours sur l’interdiction de la publicité pour les jeux de hasard et les paris en ligne.

C’est pas bien gras; la publicité est pourtant un sujet éminemment politique

Les déclarations du Président de parti sonneront-elles le glas de l’inaction des élus socialistes en la matière ? Nous l’espérons vivement et nous nous tenons à leur entière disposition pour travailler en ce sens sur base de l’expertise sérieuse et approfondie de la société civile.

– Pause pub –

Allez, une petite devinette : Quels produits vantent ces publicités ? (réponses à la fin de l’article).

En passant : si vous êtes intéressé·e·s par un rapport très fouillé sur le sexisme (qui est aussi une des dérives du secteur) dans la publicité française, c’est par ici.

– Fin de la pause –

Chi va piano (mais pas trop quand même) va sano e va lontano

L’entreprise (cadrer la pub donc) est de taille et s’y attaquer ne peut se faire que progressivement. Voici quelques propositions 5

  1. La mise en place d’une autorité administrative indépendante pour remplacer l’auto-proclamé Jury d’Ethique Publicitaire (JEP) qui comme tout organe basé sur l’auto-régulation n’est qu’un cache-sexe. Elle pourrait être en charge notamment de :
    • la régulation a priori – elle l’est a posteriori dans le cadre du JEP – des contenus de communication commerciale, « pour lutter contre les incitations au gaspillage et à l’obsolescence marketing et contre le blanchiment de l’image écologique et sociale des produits et des marques » 6 ;
    • la conduite d’études indépendantes sur la dimension économique des communications commerciales (aujourd’hui, on se base généralement sur les études commises par le secteur qui décidément adore s’occuper de lui-même) ;
    • le rassemblement des données sur les volumes de dépenses de communication commerciale par secteurs économiques (aujourd’hui très difficilement accessibles) ;
    • le rassemblement et la mise à disposition du public des montants de dépenses de communication commerciale pour une liste de produits jugés sensibles pour le climat, l’environnement et la santé.
  2. Dresser la liste des produits pour lesquels la publicité doit impérativement être interdite (ou sérieusement régulée), notamment l’automobile, les produits alimentaires mauvais pour la santé (y compris les boissons dont celles contenant de l’alcool en priorité), les énergies fossiles, l’aviation, les paris et jeux de hasard …
  3. Faire disparaître la publicité de l’espace public, en ville mais aussi ailleurs, notamment aux arrêts (gares (train, bus), vélo de location, …) et sur les véhicules de transport en commun. C’est immédiatement jouable car déjà réalisé dans plusieurs villes (Grenoble, Amsterdam…). Une solution devrait être trouvée pour compenser les éventuelles taxes communales sur l’affichage.
  4. L’introduction d’une taxe générale sur les dépenses de publicité et de relation publique dont le montant doit s’avérer être suffisant pour diminuer rapidement la pression publicitaire. C’est là une source potentielle de compensation des « pertes » pour les secteurs aujourd’hui fortement dépendant de la publicité commerciale. Elle pourrait varier en fonction de la nocivité des produits (sachant que les plus nocifs tomberaient sous le coup d’une interdiction).

Canopea avait déjà travaillé sur une position de la Fédération en 2008 et a décidé de la remettre le métier cette année. Bienvenue aux contributions de tous horizons !

Réponses au petit jeu : une table – qui se trouve sous la mannequin – et un sac à main Desigual porté par la rappeuse argentine Nathi Peluso…

Et une dernière Pause pub ! –

Une campagne de dénonciation de la publicité pour le secteur aérien par l’excellent projet badvertising.

– Fin de la pause –


  1. Déclic, Le Tournant – produit par Arnaud Ruyssen intitulé Paul Magnette attendu au Tournant https://auvio.rtbf.be/emission/declic-le-tournant-23265, 1:00:12 => 1:01:48
  2. Interdiction pour le tabac sur fond du dossier Francorchamps (dans lequel PS et MR se sont acharnés sur Ecolo) et interdiction également de ce qui n’est pas en vente libre : médicaments, armes… Il y a aussi quelques régulations (sans interdiction) de certains produits.
  3. Pensons par exemple aux publicités pour les fast food et les sodas et à l’obésité qui augmente dramatiquement et constitue un coût important à la sécurité sociale
  4. La communication commerciale à l’ère de la sobriété ; Taxer la publicité pour consommer autrement, étude menée par l’association Communication et Démocratie et par l’Institut Veblen pour les réformes économiques avec le soutien financier de l’ADEME, 2022.
  5. Une partie d’entre elles sont issues de La communication commerciale à l’ère de la sobriété ; Taxer la publicité pour consommer autrement, étude menée par l’association Communication et Démocratie et par l’Institut Veblen pour les réformes économiques avec le soutien financier de l’ADEME, 2022.
  6. ibidem