Les États généraux de la Protection des Cultures
Le 31 octobre dernier à Gembloux s’est tenue la séance inaugurale des « États généraux de la Protection des Cultures » (EGPC), un processus piloté par le centre wallon de recherches agronomiques (CRA-W) et annoncé il y a plusieurs mois déjà par Mme Anne-Catherine Dalcq, ministre wallonne de l’Agriculture.
En pratique, les EGPC, ce sont neuf groupes de travail qui vont explorer, par filière, les alternatives concrètes – existantes ou à développer – aux produits phytopharmaceutiques (PPP) et ce, en abordant cinq thèmes transversaux (bioagresseurs et climat ; progrès génétique et variétés résistantes ; techniques culturales et lutte intégrée ; biocontrôle, biostimulants et outils d’aide à la décision ; contraintes et attentes de l’aval). Le détail des neuf filières retenues est disponible ici. La finalisation des travaux est attendue au premier trimestre 2026.
Ce que la ministre attend en premier lieu de ces états généraux, c’est la rédaction d’un vade-mecum qui devrait recenser les solutions disponibles à court et à long terme pour réduire l’utilisation des pesticides. Un tel document doit permettre d’une part, d’accompagner les agriculteurs et les agricultrices et d’autre part, d’orienter la recherche, l’innovation et la formation en agriculture. Le souhait est également d’aboutir à une feuille de route à 5 ou 10 ans afin de doter la Wallonie d’une stratégie cohérente en termes de réduction des pesticides.
« Plus d’alternatives pour moins de pesticides » : c’est avec ce slogan que la ministre Dalcq a ouvert les EGPC. En introduction et en conclusion de la séance, elle a tenu à affirmer sa volonté d’avancer à travers une « vision progressiste et pragmatique » et en ne faisant « pas dans l’idéologie mais dans la méthode ». Elle a également affiché son ambition de faire de la Wallonie une région leader en termes de diminution de l’utilisation des pesticides. Elle a aussi rappelé son souhait de ne pas opposer production, environnement et santé et s’est adressée directement aux agriculteurs pour leur assurer que « rien ne se fera sans [eux], rien ne se fera contre [eux] ».
Résumé des différents exposés
En plus des interventions de la ministre de l’Agriculture, la séance a laissé la place à différents exposés :
- Une présentation de la démarche suivie en France pour anticiper le retrait des substances actives ;
- Un retour des auditions parlementaires wallonnes au sujet des pesticides ;
- Un état des lieux de l’agréation et de l’utilisation des PPP ;
- Des perspectives à propos de la sélection variétale, de la mécanisation et des biosolutions ;
- Un état d’avancement du Plan wallon de réduction des pesticides (PWRP3)
Une partie des présentations des intervenant·es est disponible ici.
Présentation de la démarche suivie en France
Le premier exposé était celui de M. Christian Lannou (INRAE), lequel visait à partager la démarche suivie par le PARSADA, un plan d’action français qui doit anticiper les retraits de substances actives en apportant des réponses opérationnelles en termes de protection des cultures. L’orateur a notamment rappelé que nous étions dans « une période de transition entre une époque avec peu de contraintes sur l’utilisation des pesticides et une autre époque où les pesticides seront utilisés uniquement en dernier recours, lorsque vraiment nécessaires ». Pour M. Lannou, l’enjeu est d’arriver à « passer cette étape de transition tout en conservant des filières agricoles dynamiques et compétitives ».
Il a également souligné l’importance de l’écart entre la production de connaissances et le changement de pratiques sur le terrain : pour transformer l’agriculture, il est impératif de s’intéresser à l’adoption des innovations par les agriculteurs et les agricultrices.
Retour des auditions parlementaires
Le deuxième exposé fut celui de Mme Véronique Durenne, députée MR au Parlement wallon. En sa qualité de rapporteuse, elle a présenté les premiers constats des auditions relatives aux pesticides.
Au niveau de l’environnement et de la santé, Mme Durenne a mentionné, entre autres constats, « la nécessité de diminuer l’utilisation des pesticides qui sont un risque pour la santé et l’environnement », « la nécessité de renforcer la protection des captages, des zones habitées, d’étendre l’interdiction de pulvérisation autour des lieux sensibles, d’avoir une meilleure gestion et transparence des données » et le fait que « tous les acteurs, y compris agricoles, reconnaissent la nécessité d’une transition progressive vers une diminution de l’usage des produits phytopharmaceutiques ».
Au niveau de l’agriculture, les constats étaient notamment que « des alternatives existent », qu’il n’y a « pas de consensus sur la viabilité économique de ces alternatives », qu’une « différence [devait être faite] entre rentabilité et rendement, la rentabilité devant être préservée pour préserver le métier agricole », enfin qu’étaient essentiels « l’adhésion des agriculteurs à la transition » et « le renforcement du soutien de la Wallonie à la réalisation d’essais en conditions réelles et au suivi de fermes pilotes ».
État des lieux de l’agréation et de l’utilisation des PPP
Les trois présentations suivantes concernaient l’état des lieux de l’agréation et de l’utilisation des PPP.
M. Olivier Guelton (SPF Santé) a rappelé le cadre de l’agréation des PPP et les rôles respectifs des niveaux européens, fédéraux et régionaux.
M. Bernard Weickmans (CRA-W) a notamment fait le point sur les conditions d’utilisation des PPP avant d’estimer que le cadre de travail résultant de l’arrêt du projet européen de règlement sur les pesticides, s’il était manifestement incomplet, devait néanmoins être saisi comme une opportunité.
Mme Chloé Guillitte (ASBL Corder) a ensuite attiré l’attention sur deux éléments. D’abord, par rapport aux quantités de pesticides utilisées en Wallonie depuis 2011, que s’il y avait des variations annuelles importantes imputables à la météo et au retrait des substances, il n’y avait pas d’évolution globale (ni augmentation, ni diminution) des quantités utilisées. Ensuite, que l’évaluation du risque lié aux pesticides ne pouvait pas reposer uniquement sur les quantités utilisées et qu’il était dès lors nécessaire d’utiliser un indicateur de risque, c’est-à-dire combinant le danger et l’exposition liés aux pesticides.
Perspectives à propos de la sélection variétale, de la mécanisation et des biosolutions
Différents acteurs ont ensuite témoigné des perspectives en termes de variétés, de mécanisation et de biosolutions.
M. Guillaume Jacquemin (CRA-W) a mis en évidence l’intérêt de la sélection variétale pour réduire les pesticides. Il a tenu à souligner une méthode de travail « au champ, avec des yeux, un cahier et des bottes » et l’importance pour la création variétale de partir d’une diversité maximale.
M. Roland Bruwier (entrepreneur agricole) a partagé son expérience autour du machinisme agricole, avec un accent sur le binage, lequel permet de diminuer le recours aux pesticides et d’aérer le sol. Il a pointé l’importance, au niveau des interventions mécaniques, d’agir en préventif plutôt qu’en curatif et a souligné les freins en termes de coût à l’hectare et en termes de conditions météorologiques.
Le prof. Philippe Jacques (IIS Digibiocontrol) et M. Denis Payen (Biocsol) ont témoigné du potentiel des biosolutions non seulement en termes de diminutions du recours aux pesticides mais également en termes de création d’emplois et de valeur ajoutée pour la Wallonie. Il faut toutefois tenir compte du délai de mise sur le marché de ces biosolutions.
État d’avancement du Plan wallon de réduction des pesticides
Le dernier exposé était celui de M. Denis Godeaux (SPW-ARNE) qui a présenté l’état d’avancement du Plan wallon de réduction des pesticides (PWRP3). Il a notamment tenu à mentionner des exemples d’initiatives permettant de concilier rentabilité et diminution des PPP. Il a ensuite évoqué les limites des indicateurs européens relatifs à la réduction des pesticides. Enfin, il est revenu sur les recommandations de la Cour des comptes relatives au PWRP3 à savoir la nécessité de :
- Mieux définir les objectifs visés ;
- Finaliser les travaux en cours sur les différents indicateurs ainsi que leur attribuer une cible et une échéance ;
- Définir et mettre en œuvre un scénario de transition sur base des travaux commandés par la région.
Conclusion et regard sur les EGPC
En conclusion, on retiendra de cette séance inaugurale des EGPC la volonté affichée par la ministre wallonne de l’Agriculture d’avancer de manière pragmatique et ambitieuse au niveau de la réduction de l’utilisation des pesticides, avec une approche qui se veut centrée sur les agriculteurs. Une telle démarche ne peut qu’être saluée, particulièrement si l’on se rappelle des propos de M. Lannou et de Mme Durenne, qui soulignaient respectivement l’importance de s’intéresser à l’adoption des innovations par les agriculteurs et l’adhésion de ces derniers à la transition.
Conformément au slogan « Moins de pesticides, plus d’alternatives », on attirera cependant l’attention sur la nécessité de s’accorder sur ce qui peut être reconnu ou non comme une alternative. On le sait, et cela a été répété lors de cette séance inaugurale, des alternatives existent déjà. Elles peuvent être de trois types1 : des alternatives dites de substitution technologique (biosolutions, robots…), des alternatives systémiques qui impliquent une réflexion à l’échelle de la ferme (rotation, techniques culturales, infrastructures écologiques, prophylaxie…) et des alternatives systémiques qui impliquent une réflexion à l’échelle du système agro-alimentaire (standards de production, habitudes de consommation, répartition de la valeur, garanties financières…).
Sans définition préalable de ce qui constitue ou non une alternative, il y a un risque net que les alternatives systémiques soient dévalorisées par rapport aux alternatives de substitution technologique2. La séance inaugurale des EGPC en témoigne puisque les interventions relatives aux perspectives se sont plutôt concentrées sur des alternatives de substitution technologique. On notera néanmoins que parmi leurs thèmes de travail, les groupes filières auront bien à traiter de la lutte intégrée et des contraintes et attentes de l’aval.
Chacune et chacun le sait : il est clair qu’une diminution significative de l’utilisation des pesticides nécessite une approche systémique et qu’une approche systémique nécessite des choix politiques. Cela a notamment été rappelé par M. Hugues Falys, porte-parole de la FUGEA, lors des auditions au Parlement wallon. Il faudra donc que la feuille de route qui sera élaborée par les EGPC ne se contente pas de recommander des pratiques aux agriculteurs et aux agricultrices mais qu’elle permette à l’ensemble du système agro-alimentaire d’amorcer une transition.
Les éléments fournis par les groupes filières à la ministre devront donc pleinement tenir compte des modifications à apporter au niveau de l’assolement global, de la transformation, de la distribution et de la consommation, de sorte que la responsabilité de la transition soit partagée équitablement par l’ensemble des acteurs. En ce compris par les acteurs politiques qui auront à concevoir des outils d’accompagnement de cette transition : on citera par exemple l’orientation des budgets vers les acteurs engagés dans la transition, ainsi qu’un mécanisme de taxation à même d’orienter les choix de substances conformément aux préoccupations sanitaires et environnementales.
Enfin, on rappellera l’importance de l’agriculture biologique comme levier majeur de la réduction de l’utilisation des pesticides. Dans le travail de scénarisation réalisé par l’équipe Sytra3, les deux scénarios qui permettent de réduire d’au moins un tiers le risque associé à l’utilisation des pesticides sont les scénarios qui intègrent une augmentation importante des surfaces cultivées en agriculture biologique (respectivement de près de 50% et de près de 60%). Un enjeu majeur de la législature sera donc de créer les conditions socio-économiques qui permettront de développer largement l’agriculture biologique au niveau wallon.
Crédit image illustration : Adobe Stock
Aidez-nous à protéger l’environnement,
faites un don !
- Aulagnier A., 2025. Idée reçue n°14 : « « Pas d’interdictions sans solutions ! » On ne peut pas interdire de nombreux pesticides parce que les agriculteurs n’ont pas d’alternatives » In : Le Lierre (collectif). « Agroécologie : dépasser les idées reçues ». Accessible en ligne. ↩︎
- Ibidem. ↩︎
- Sytra, 2025. « Scénarios de transition pour la réduction des usages et des risques liés aux pesticides en Wallonie à l’horizon 2035 ». Accessible en ligne. ↩︎
Faites un don


