Sobriété lumineuse : mesure de crise ou évolution durable ?

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Biodiversité
  • Temps de lecture :19 min de lecture
You are currently viewing Sobriété lumineuse : mesure de crise ou évolution durable ?

Pour faire face à la crise énergétique, certains pouvoirs communaux ont fait le choix d’éteindre (temporairement) une partie de l’éclairage public à certaines heures de la nuit. Comment aller plus loin et viser une réelle sobriété lumineuse à long terme, en tenant compte des enjeux liés à la biodiversité et à la santé humaine ?

La pollution lumineuse : définition

La pollution lumineuse est définie comme « le rayonnement lumineux émis à l’extérieur ou vers l’extérieur, et qui par sa direction, intensité ou qualité, peut avoir un effet nuisible ou incommodant sur l’homme, sur le paysage ou les écosystèmes » (Kobler, 2002). Elle est causée par des éclairages trop puissants, trop nombreux, mal conçus, mal orientés et/ou utilisés de façon abusive.

Ce concept regroupe plusieurs phénomènes :

  • Halo lumineux : pollution lumineuse diffuse impactant le paysage environnant, observable par exemple en périphérie des villes ;
  • Lumière intrusive : éclairage extérieur dont l’orientation et l’intensité entraine des nuisances jusqu’à l’intérieur des habitations ;
  • Eblouissement : gêne visuelle provoqué par un éclairage trop intense ;
  • Eclairage excessif et abusif : éclairage disproportionné par rapport aux besoins, par exemple des bâtiments éclairés de l’extérieur « comme en plein jour ».

Impacts sur la santé et le bien-être humain

Une exposition excessive à l’éclairage nocturne, en particulier la lumière bleue (comme celle de nos écrans par exemple…) inhibe la production de mélatonine et perturbe nos biorythmes, ce qui peut entrainer divers problèmes de santé tels que problèmes de sommeil, hypertension nocturne, maladies cardiovasculaires, fatigue chronique, dépression, cancer, etc. (ANSES, 2019). Un éclairage excessif peut également provoquer des dommages rétiniens chez les enfants et favoriser la dégénérescence maculaire chez les personnes âgées.

De plus, la pollution lumineuse nous prive de l’observation des étoiles, source de connaissances mais également de bien-être et d’inspiration artistique.

Figure 1: Van Gogh, Nuit étoilée sur le Rhône, 1888 (source: ASCEN)

Impacts sur la biodiversité

Les impacts sur la biodiversité sont nombreux et touchent la plupart des groupes biologiques.

Mammifères

La pollution lumineuse perturbe les cycles veille-sommeil chez tous les mammifères. La période d’activité augmente chez les espèces diurnes mais diminue chez les espèces nocturnes, ce qui réduit leur temps consacré à l’alimentation, et entraine par exemple un ralentissement du développement des jeunes chauves-souris. Certaines espèces telles que les pipistrelles se sont adaptées en chassant les insectes attirés par les réverbères, tandis que pour d’autres la lumière a un effet répulsif et réduit leur domaine vital. Renards, chevreuils et blaireaux sont également lucifuges : ils évitent les lisières forestières éclairées.

Oiseaux

La pollution lumineuse perturbe l’horloge interne des oiseaux et certains individus se mettent à chanter la nuit, avec un risque d’épuisement. Cette perturbation des biorythmes modifie également les interactions proie-prédateur, certains rapaces diurnes se mettant à chasser la nuit !

L’éclairage nocturne est particulièrement problématique en période de migration puisque deux tiers des espèces migrent au moins partiellement de nuit et s’orientent grâce aux étoiles. La pollution lumineuse cause des difficultés d’orientation et l’effet attractif des zones éclairées augmente les risques de collision avec les voitures, les infrastructures et les immeubles.

Amphibiens

Les effets de l’éclairage nocturne sont très contrastés chez les amphibiens, avec un effet attractif pour certaines espèces (augmentant la mortalité sur les routes) et répulsif pour d’autres (entravant la dispersion).

Insectes

Les sources de lumière artificielle créent un phénomène de « puits écologique » pour de nombreuses espèces d’insectes (papillons de nuit, neuroptères, trichoptères, coléoptères), avec un pouvoir d’attraction pouvant atteindre un rayon de 700 mètres. Les insectes attirés finissent par mourir par épuisement ou brûlure ; un seul réverbère peut ainsi tuer 150 insectes par nuit ! De plus, le risque de prédation est accru : certaines araignées tissent leurs toiles autour des lampes pour piéger les insectes plus facilement…

La reproduction des vers luisants et des lucioles, qui utilisent des signaux lumineux pour attirer leur partenaire, est empêchée car ces signaux sont rendus invisibles par la pollution lumineuse.

Végétaux

La photopériode (durée du jour) est un des principaux facteurs qui régulent le cycle de vie des végétaux. La pollution lumineuse perturbe ce cycle : les espèces de « jours longs » éclairées par la lumière artificielle fleurissent trop précocement, ce qui les rend vulnérables au gel, tandis que celles de « jours courts » fleurissent trop tard voire pas du tout. Ces perturbations peuvent créer des décalages entre le cycle de vie des plantes et celui des pollinisateurs, dont les populations sont par ailleurs impactées comme décrit plus haut.

Certains arbres situés à proximité des réverbères débourrent aussi précocement, formant parfois des feuilles dès le mois de janvier, ce qui augmente leur vulnérabilité au gel et aux tempêtes hivernales.

Comment agir ?

Pour réduire la pollution lumineuse, on peut agir sur quatre caractéristiques de l’éclairage :

  • l’orientation : orienter l’éclairage vers le bas pour éviter la déperdition de lumière vers le ciel ;
  • la couleur : utiliser des lumières de couleur « chaude », moins impactantes pour la faune sauvage et la santé humaine ;
  • l’intensité : diminuer l’intensité de l’éclairage (dimming) ;
  • la période : éteindre l’éclairage à certaines heures.

On peut aussi utiliser un éclairage intelligent, par exemple qui ne s’allume que lorsqu’une voiture est en approche, ce qui permet une diminution de la consommation d’énergie par rapport à un éclairage permanent. Il y a cependant un risque que l’éclairage s’allume de manière intempestive lors du passage d’un animal, par exemple. De plus, ces systèmes « intelligents » sont plus coûteux et consommateurs de ressources (métaux notamment). Ils ne sont donc pas la panacée ; il est important de bien peser le pour et le contre et de les utiliser uniquement là où c’est le plus pertinent.

En résumé, faire ce que recommande l’ASCEN (Association pour la Sauvegarde du Ciel et de l’Environnement Nocturne) depuis des années : éclairer ce qu’il faut, comme il faut, quand il faut !

Une évolution positive

La Belgique est une véritable championne du monde en matière de pollution lumineuse, comme le soulignait mon collègue Pierre Jamar dans cet article. Mais voyons le côté positif : quand on part de très loin, il est facile de s’améliorer !

Début 2022, seules trois communes éteignaient leur éclairage public à certaines heures de la nuit : Amel, Waimes et Büllingen.

Actuellement, pour faire face à la crise énergétique, 164 communes wallonnes ont décidé d’éteindre leur éclairage public entre minuit et cinq heures du matin. Dans le contexte de la hausse des prix de l’énergie, l’intérêt économique de cette mesure était évident, quand on sait que l’éclairage public représente une consommation de 238 millions de kilowattheures par an en Wallonie, dont 50 % sont à charge des communes ! Ces mesures sont d’application jusqu’au 31 mars 2023. Mais que se passera-t-il après cette date, si les prix de l’énergie continuent à redescendre ? On ne peut qu’espérer que cette expérience permettra de lever certaines craintes liées à l’obscurité, et que la protection de la biodiversité et de la santé humaine seront élevées au rang de priorités et non plus seulement la maîtrise des factures d’énergie !

Les pouvoirs communaux ont jusqu’à présent principalement agi via la réduction de la période d’éclairage. L’orientation s’améliore également petit à petit avec le remplacement des vieilles ampoules par des LED, dont l’orientation est en même temps optimisée, de nouveau pour des raisons d’efficacité énergétique. Malheureusement, ces LED sont pour la plupart de couleur blanche, néfaste pour la biodiversité et la santé humaine. Le plan « Lumières » wallon prévoit d’utiliser des couleurs plus chaudes dans les zones à forte présence de chauves-souris, mais pourquoi ne pas le faire partout ? Une diminution de l’intensité entre 22 h et 6 h du matin est également prévue sur l’ensemble du réseau wallon.

On pourrait aller encore plus loin en supprimant carrément certains points lumineux. En effet, le SPW a réalisé une cartographie de l’éclairage public communal potentiellement superflu. Vu l’effet fragmentant de la pollution lumineuse sur les réseaux écologiques, les points lumineux situés dans des sites Natura 2000 ou à proximité de ceux-ci devraient être supprimés en priorité.

De plus, afin de préserver ce qui reste de la trame noire, les impacts en termes de pollution lumineuse devraient être systématiquement analysés dans les études d’incidences relatives aux projets immobiliers, et des mesures de réduction et/ou de compensation de ces impacts devraient être mises en œuvre.

Des mythes à déconstruire

Obscurité et criminalité

Certaines communes ont récemment décidé de rallumer l’éclairage public pour contrer le sentiment d’insécurité généré par l’obscurité. Si l’éclairage peut effectivement améliorer le sentiment de sécurité, il n’y a pas de consensus scientifique concernant l’impact de l’éclairage sur la criminalité. Différentes études ont obtenu des résultats contradictoires concernant l’effet de l’éclairage sur la criminalité, qui peut être positif, négatif ou neutre, en fonction de la méthodologie employée, du lieu, du contexte social et du type de méfaits considérés. En effet, si un éclairage intense peut dissuader certains malfaiteurs car ils courent plus de risques d’être reconnus ou pris sur le fait, il peut aussi leur faciliter la tâche en rendant plus visibles les victimes potentielles (le malfaiteur peut plus facilement estimer les objets de valeurs portés par une personne, sa vulnérabilité et les personnes susceptibles de s’interposer). Par contraste, l’éclairage d’une zone peut aussi diminuer la visibilité des zones d’ombre aux alentours, facilitant la fuite des malfaiteurs dans ces zones d’ombre. Des effets indirects peuvent également être observés : l’éclairage peut favoriser la vie nocturne dans un quartier, permettant une forme de contrôle social par la présence de nombreuses personnes dans la rue, mais cette vie nocturne peut également rendre plus facile les cambriolages des maisons dont les occupants sont absents, et favoriser certains comportements problématiques tels que le deal de drogue ou les rassemblements de jeunes causant du tapage nocturne.

Eclairage et sécurité routière

On pense souvent que l’éclairage nocturne est nécessaire pour éviter les accidents de la route, mais force est de constater que malgré l’éclairage intense de nos autoroutes, il y a encore beaucoup d’accidents la nuit. Le taux de mortalité par accidents de la route est même plus élevé en Belgique que dans d’autres pays où les routes ne sont pas éclairées (comme la France par exemple). En fait, l’éclairage pourrait même avoir l’effet inverse, donnant un faux sentiment de sécurité qui encouragerait les automobilistes à rouler plus vite, augmentant ainsi le risque de mortalité en cas d’accident.

Les causes d’accidents nocturnes sont multiples et non directement liées à l’obscurité : fatigue et endormissement au volant, consommation d’alcool ou de stupéfiants, vitesse excessive, etc.

Que faire au niveau individuel pour limiter ses impacts et son exposition à la pollution lumineuse ?

Bien que la majorité de la pollution lumineuse soit due à l’éclairage public, nous pouvons tous et toutes adopter quelques gestes simples pour limiter nos propres impacts, préserver notre santé et économiser l’énergie :

  • fermer nos stores ou nos tentures dès la tombée de la nuit, pour limiter la dispersion de lumière vers l’extérieur, et installer des stores opaques dans la chambre à coucher pour créer une barrière contre la lumière intrusive ;
  • placer des autocollants anti-collision sur les surfaces vitrées, afin de les rendre visibles pour les oiseaux ;
  • utiliser des ampoules de teinte chaude, ambrée voire jaune orangée, et adapter l’intensité lumineuse à nos besoins ;
  • éteindre la lumière dans les pièces inoccupées ;
  • utiliser le moins possible d’appareils électroniques le soir, et si c’est le cas, mettre l’écran en « mode nuit » pour limiter notre exposition à la lumière bleue.

Enfin, ne perdons pas une occasion de sensibiliser notre entourage et de discuter avec les pouvoirs locaux, en les encourageant à pérenniser et renforcer les mesures prises pour lutter contre la pollution lumineuse !

Bibliographie

Aidez-nous à protéger l’environnement,
faites un don !