Un thé sous la yourte

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Après avoir conquis de nombreux Américains dans les années 70, la yourte est apparue en France il y a une dizaine d’années et fait timidement son apparition en Belgique.
Valentine De Muylder a mené en 2012 une recherche sur cet « habitat plume»[[Christian LA GRANGE, Habitat Plume, Terre vivante, 2007. Face au gigantisme qui jalonne l’histoire de notre architecture, ce livre propose de s’inspirer des constructions des nomades, plus légères, démontables et facilement transportables. Les matériaux sont trouvés sur place et retournent à la nature une fois qu’ils n’ont plus d’usage.]] en Wallonie.

La Lettre des CCATM: Dans le cadre de vos études de journalisme, vous êtes partie à la rencontre de personnes habitant des yourtes pour mieux comprendre une façon de se loger et de vivre… Où les avez-vous trouvées ?
Valentine De Muylder : Je me suis rendue principalement en région namuroise et en Ardenne. Parfois, la yourte accompagne une roulotte ou fait partie d’un ensemble où plu-sieurs familles occupent diverses constructions, mobiles ou non. Dans plusieurs cas de figure, la yourte sert de chambre et de pièce pour recevoir tandis que les communs se trouvent dans une autre construction. C’est éminemment variable et varié. Les « yourteurs » cherchent à inventer d’autres modes de vie, ils matérialisent les questions que chacun peut se poser, à la croisée entre philosophie, écologie et droit au logement. Le choix de l’auto-construction et de la simplicité a aussi ses raisons économiques. La yourte est un logement accessible – avec une mise relative- ment modeste qui peut avoisiner les 10. 000 € – et pour lequel on ne paie pas ou peu de loyer.
La plupart des gens que j’ai visités ont installé leurs yourtes sur des propriétés privées, en accord avec le propriétaire des lieux. Ils n’ont pas entrepris de démarches particulières auprès des autorités locales mais celles-ci sont au courant de leur présence, qu’elles tolèrent en pratique.
Construire une yourte en Wallonie et y habiter, est-ce autorisé ? La réponse à cette question n’est pas simple car ces constructions légères semblent tomber comme un cheveu dans la soupe de la réglementation régionale en matière d’urbanisme et de logement. Selon le Code wallon de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme, du patrimoine et de l’énergie (CWATUPE), un permis d’urbanisme est requis pour «utiliser habituellement un terrain pour le placement d’une ou plusieurs installations mobiles, telles que rou- lottes, caravanes, véhicules désaffectés et tentes». A moins de pouvoir être assimilée à un abri de jardin, dis-pensé de permis, la yourte risque fort d’être considérée comme une installation mobile et un permis doit alors être demandé à la commune. Pour instruire la demande d’autorisation, la commune vérifie que le terrain se trouve dans une zone où la résidence est autorisée, que le logement res- pecte les normes régionales en matière d’énergie et qu’il s’intègre dans le paysage. Cette grille de lecture est adaptée aux constructions en dur, avec fondations et modification du relief du sol mais elle ne reflète pas la réalité des résidences mobiles et démontables, dont l’impact sur l’environnement est faible et souvent momentané.

Concrètement, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est une yourte?
La réalité actuelle est assez variée et peut s’éloigner du modèle originel, notamment en cas de contraintes météorologiques.
Commencez par imaginer un bâtiment rond comme un champignon, gris ou blanc, parfois vert. La yourte traditionnelle[[D’après Wikipédia, qui accorde à la yourte un article très didactique, une yourte traditionnelle se monte en trente minutes.]] s’ouvre par une seule porte, au sud, pour laisser entrer le soleil et les amis. Le plus souvent, il n’y a pas de fenêtres. Le restant des murs est fait de sections en croisillons qui se déplient au moment du montage pour former un vaste cylindre. Le toit est une sorte de voûte rayonnante avec au centre un anneau vide par où passe le tuyau du poêle à bois. Deux solides mâts supportent ce toit qui domine à 2 mètres 30 de hauteur maximum. Des perches relient l’anneau aux parois, comme les « rayons » d’un parapluie ouvert. Pour envelopper cette structure, des matériaux tels que la laine de chanvre remplacent les peaux d’animaux utilisées en Asie centrale. Le feutre, matériau traditionnel, est encore couramment utilisé, vu ses pouvoirs isolants. La couche extérieure imperméable, véritable manteau surmesure, est faite chez nous de bâches, là où les Mongols utilisent la berdzine, une toile de coton imperméabilisée blanche, qui donne aux yourtes leur aspect si reconnaissable. Chez nous, l’anneau central est souvent recouvert par une paroi transparente qui laisse entrer la lumière et permet de voir quelques étoiles en se protégeant des intempéries.
La yourte, si légère soit-elle, peut faire face au vent et aux températures extrêmes. Mais la Mongolie, dont le surnom est « pays du ciel bleu », passe souvent plus de deux tiers de l’année sans recevoir une seule goutte de pluie ! Pour les yourtes wallonnes, il faut chercher le juste équilibre entre une bonne étanchéité et une aération suffisante. On trouve sur internet de nombreux sites qui proposent des yourtes toutes faites, des matériaux de construction ou des conseils mais on se rend vite compte que certains fabri- cants ont une approche bien plus commerciale qu’artisanale.

Cette façon d’habiter rapproche de la nature, mais éloigne de la règle…
Les «yourteurs» que j’ai rencontrés sont de petits consommateurs d’eau et d’énergie. Même s’ils recourent au chauffage par poêle à bois, technique qui n’est pas la moins polluante, ils optent le plus souvent pour des toilettes sèches et partagent certains équipements avec leurs voisins. Quand le soir tombe, on s’éclaire à la bougie et à la lampe à huile si on n’a pas accès à l’électricité – ou pour éviter de trop solliciter des installations extérieures comme un groupe électrogène.
Le confort matériel réduit et la proximité de la nature ne dérangent pas mes interlocuteurs. Ce sont des gens qui adorent camper, qui étaient impatients de se lancer dans l’aventure. Quand vous habitez une yourte, c’est pratiquement impensable de passer toute une journée à l’intérieur. On vit avec les saisons et on se sent « à la maison » dehors comme dedans. Mais est-ce un rêve hors-la-loi ? L’habitat mobile ou léger se cherche un statut, une place dans nos sociétés occidentales… Il pose la question du droit à un logement décent, droit fondamental consacré par la Constitution belge et par le droit international.
Aujourd’hui, l’habitat alternatif suscite la réflexion et le débat dans les secteurs du logement et de la lutte contre la pauvreté. Dans son rapport 2010- 2011 « Lutte contre la pauvreté » qui se penche sur les formes alternatives d’habitat, le Centre pour l’égalité des chances a recommandé d’adapter les normes de qualité en matière de logement aux réalités de vie des personnes et de « lutter contre les présupposés négatifs que suscitent certaines formes d’habitat ».

Dans votre découverte de l’habitat comme vision du monde, vous avez fait intimement connaissance avec la notion de « vernaculaire »…
C’est un mot savant qui désigne tout simplement l’ « architecture des gens », celle que l’on construit soi- même, avec les matériaux que l’on a à sa disposition: cabanes, roulottes, yourtes, maisons de terre-paille… Ces habitations originales sont plus nombreuses qu’on l’imagine en Wallonie, et souvent associées à une volonté de vivre plus simplement, proche des autres et de la nature. J’ai rencontré des personnes qui se montrent curieuses vis-à-vis de l’origine de la yourte mais qui admettent en même temps que les traditions lointaines n’ont pas vraiment influencé leur démarche. Je me demande néanmoins s’il se pourrait qu’ils aient insufflé à leur habitation une symbolique nouvelle, reflet de leur vision du monde actuel. Ce n’est pas anodin non plus si, pour vivre de manière plus dépouillée, telle personne choisit de vivre à la fois dans un endroit qu’elle aime, proche de la nature et proche d’autres personnes avec qui partager cette expérience. En conclusion, j’ai envie de reprendre les mots de Nicolas Chailloux, fondateur de la firme Yourteco : cet habitat « donne à la personne un pouvoir de décision sur sa façon de vivre, en lui permettant d’être acteur, et pas seulement consommateur, de son logement ».

Article extrait de « La Lettre des CCATM » n°72, Juin-juillet 2013.
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