Zoning de Mariembourg : du mauvais usage du territoire

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Via le réseau Occupons le terrain, nous avons été contactés par un agriculteur de Mariembourg dont les terres sont menacées par un projet d’extension de zoning. Il a d’ailleurs lancé une pétition sur le site du Parlement Wallon pour lutter contre ce projet et renforcer la protection des terres agricoles wallonnes. N’hésitez pas à la signer ! En effet, il s’agit d’un exemple particulièrement emblématique de mauvais aménagement du territoire, qui illustre bien l’absence totale de stratégie régionale en matière de parcs d’activités économiques, et le manque de concertation entre des intercommunales dont le modèle économique est basé sur la spéculation immobilière.

Petite visite virtuelle de terrain

Partons d’abord à la découverte du zoning existant. La vue aérienne nous montre qu’il comprend une part importante d’espaces verts. En nous rendant sur place, nous constatons qu’il s’agit d’un mélange de pelouses tondues et de zones de friche, où la nature reprend peu à peu ses droits (herbes hautes et broussailles). Vue du sol, l’étendue de ces zones apparaît encore plus clairement. Les entreprises présentes dans le zoning seraient-elles particulièrement soucieuses de préserver la biodiversité ? Il n’en est rien ; en fait, le zoning est loin d’être pleinement occupé. Même si tous les terrains ont été vendus, certains sont clairement laissés à l’abandon depuis plusieurs années. En additionnant ces zones « vertes », on estime à environ 7 hectares la surface de terrains encore disponibles ! Par ailleurs, certains aménagements semblent un peu incongrus en zone d’activité économique industrielle : on y trouve notamment un terrain de karting et une piste de VTT privée. Si ces infrastructures font le loisir de certains, on imagine bien qu’elles ne pourraient trouver leur place à cet endroit si la demande des entreprises pour s’installer était trop pressante…

Figure 1 : Vue aérienne du zoning existant (WalOnMap)
Figure 2 : Exemple de terrain inoccupé dans le zoning existant (Google Street View)

Et pourtant, le BEP (Bureau Economique de la Province de Namur) prévoit d’étendre le zoning sur 37 hectares ! Or, à proximité immédiate du zoning, on dénombre également 7 hectares de friches industrielles à réhabiliter, notamment la friche Efel, située à trois kilomètres, où de nombreux bâtiments sont en train de tomber en ruines.

Enfin, à 14 kilomètres de là, dans le zoning de Baileux (pour lequel des terres agricoles ont également été sacrifiées), il reste encore 25 hectares de terrains à vendre !

L’argument fallacieux de l’emploi

L’argument en béton pour défendre un tel projet est celui de l’emploi. En effet, dans une région marquée par un taux de chômage élevé, il est difficile de s’opposer à la création d’emplois ! Mais il manque un maillon dans la chaîne, car la mise à disposition de terrains n’entraine pas de facto une création d’emplois. Ce sont les entreprises qui créent de l’emploi ; or, force est de constater que celles-ci ne se bousculent pas au portillon…

Des intercommunales en concurrence

Cette situation aberrante s’explique par la concurrence féroce que se livrent les intercommunales. Leur modèle économique est simple : acheter des terrains à bas prix et en modifier le Plan de Secteur si nécessaire (peu importe dans quel ordre), les équiper (voiries, électricité), puis les revendre à des entreprises en réalisant une belle plus-value.

Simple, rentable et efficace… Sauf que ces acteurs du territoire ne se parlent pas, ou très peu. Au lieu de s’accorder sur la taille du gâteau en fonction du nombre de clients potentiels, et de se partager le travail pour fabriquer ensemble ce gâteau, chaque intercommunale se lance toute seule dans la confection d’un gâteau plus gros, en priant pour que tous les clients potentiels viennent manger chez elle et pas chez la voisine. Résultat : une inadéquation entre l’offre et la demande, beaucoup de gaspillage (de territoire et d’argent public) et des terres agricoles détruites pour rien.

Dans le cas présent, le zoning de Baileux a été réalisé par l’intercommunale Igretec, de la province du Hainaut. Mais cela n’a pas empêché le BEP (Province de Namur) de se lancer dans un projet similaire, produisant ainsi une offre de terrains qui sera très probablement supérieure à la demande.

Agriculture locale en péril

Le BEP prévoit d’étendre le parc d’activités économiques de Mariembourg sur 37 hectares de prairies, dont 29 hectares sont occupés par un même agriculteur. Aucun des propriétaires, ni l’agriculteur lui-même ni les autres propriétaires à qui il loue certaines parcelles, n’est désireux de vendre, mais le BEP a lancé une procédure d’expropriation.

Cette situation est d’autant plus dommageable que le fils de 23 ans, passionné par le métier, souhaite reprendre la ferme. Mais son avenir est compromis, car la perte d’une telle surface mettrait clairement en péril la viabilité de l’exploitation. Quelles que soient les compensations financières octroyées, le remplacement d’une telle surface de prairies d’un seul tenant serait tout bonnement impossible, vu la pression foncière et le manque de terres agricoles disponibles.

Au-delà de l’empathie que suscite le combat mené par cette famille d’agriculteurs, c’est notre résilience alimentaire qui est mise en péril. En effet, comme nous avons pu le constater lors de la crise du Covid et de la guerre en Ukraine, avec certains rayons de supermarché à moitié vides et une flambée des prix des aliments, notre alimentation est étroitement dépendante du marché mondial. Or, au vu du dérèglement climatique et du contexte géopolitique incertain, les chaînes d’approvisionnement risquent de devenir de plus en plus fragiles. Il est donc essentiel de garantir un certain niveau d’autonomie alimentaire par le maintien d’une production agricole locale. Pour cela, nous avons besoin d’agriculteurs et d’agricultrices, et de terres nourricières.

Le secteur agricole est en difficulté, comme l’ont montré les grandes mobilisations agricoles de 2024. Face à la concurrence internationale et à la pression sur les prix exercée par la grande distribution, beaucoup d’agriculteurs et d’agricultrices peinent à dégager un revenu décent, pour des horaires de travail indécents (souvent 7 jours sur 7, du lever au coucher du soleil). Face à ces difficultés, le secteur agricole a perdu la moitié de ses effectifs en 30 ans. Dans le même laps de temps, la surface des terres agricoles wallonnes a été réduite de 45 000 hectares, principalement en raison de l’urbanisation.

Plus de la moitié des agriculteurs et agricultrices actuel·le·s ont plus de 50 ans. C’est donc encore la moitié des exploitations agricoles qui risque de disparaître dans les dix prochaines années si elles ne trouvent pas de repreneur. Or, vu les conditions de travail difficiles, les jeunes sont de moins en moins nombreux à vouloir se lancer dans le métier. Les difficultés d’accès à la terre compliquent encore la situation, vu l’accaparement des terres par le secteur de la grande distribution, la spéculation foncière menée par les sociétés de gestion (que nous dénoncerons par une mobilisation lors de la Journée des Luttes Paysannes ce dimanche 12 avril), et bien entendu encore et toujours l’urbanisation !

Alerte inondations

Bien que les prairies concernées ne soient pas officiellement en zone inondable, l’agriculteur nous rapporte qu’elles sont pourtant régulièrement inondées. En effet, elles sont situées sur un axe de ruissellement, et vu la présence de végétation et la faible pente, l’eau a tendance à stagner. Imperméabiliser ces surfaces risquerait donc d’aggraver les problèmes de ruissellement et les inondations dans le village, déjà fréquentes.

Biodiversité menacée

La prairie située entre le zoning existant et la zone boisée constitue une zone tampon essentielle pour garantir la quiétude de la faune de ce bois. La pie-grièche écorcheur (Lanius collurio), espèce d’oiseau Natura 2000, a quant à elle déjà été observée dans une haie située dans l’autre prairie. Même si elles n’abritent pas une biodiversité exceptionnelle, ces prairies jouent donc tout de même un rôle important dans le réseau écologique.

Plan de Secteur à sens unique et droit de propriété inégal

Lorsque nous demandons des modifications du Plan de Secteur pour protéger des terres nourricières et des zones d’intérêt biologique de l’urbanisation, on nous répond souvent que c’est compliqué, car il s’agit de procédures complexes et on risque de faire face à une levée de boucliers de la part de certains propriétaires. Or, nous constatons que, dans le cas présent, le BEP n’a eu aucun mal à obtenir une modification du Plan de Secteur pour faire passer une zone agricole en zone d’activité économique industrielle, sans l’accord des propriétaires. Ce changement serait sans conséquence si le droit de propriété était respecté, puisque posséder un terrain constructible n’implique pas une obligation de construire. L’agriculteur aurait pu simplement refuser de vendre et continuer à faire pâturer ses vaches… mais c’était sans compter la procédure d’expropriation lancée par le BEP !

Le droit de propriété n’est donc visiblement pas le même pour tout le monde. Pour les uns, il confère une carte blanche qui permet de faire quasiment n’importe quoi, y compris détruire des puits de carbone et des refuges de biodiversité pour construire des lotissements au milieu de nulle part. Pour les autres, il s’agit d’un droit précaire, fragile, qui permet seulement d’utiliser les terrains en attendant que d’autres acteurs plus puissants y voient une opportunité de profit économique…

Pour un vrai ménagement du territoire

Il faut arrêter de traiter nos territoires comme des mouchoirs en papier qu’on pourrait prendre, utiliser et jeter. Les sols sont des ressources non renouvelables dont il faut prendre soin. Il est urgent de préserver nos sols vivants, en adoptant une vraie stratégie de ménagement du territoire privilégiant autant que possible la rénovation, ou à défaut la démolition-reconstruction, la dépollution et la réhabilitation des espaces déjà artificialisés. Ce qu’il nous reste de terres agricoles, de forêts et d’espaces verts doit être préservé ! C’est notre avenir qui est en jeu : notre résilience alimentaire, la préservation du climat et de la biodiversité. Pour des territoires vivants, Stop Béton maintenant !

Crédit image illustration :

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