C’est ce genre de petite phrase, prononcée en toute innocence, lâchée naïvement, qui pourrait sans doute démunir un moine tibétain aguerri de sa ceinture noire de self-contrôle.
Il volera quand même.
Avec ou sans moi.
Oui, c’est un fait. Personne n’a la prétention d’annuler la force de portance d’un avion. Il volera quand même, que ça nous plaise ou non.
Au même titre que ne pas embarquer dans cet avion n’empêchera pas l’ensemble des autres passagers de monter à bord.
Individuellement, que je monte ou pas dans cet avion, les nuisances liées à ce mode de déplacement auront lieu.
On peut d’ailleurs appliquer ce raisonnement déculpabilisant pour la plupart des choix de consommation.
Que j’achète ou non ce SUV, il circulera de toute manière sur nos routes avec une autre personne au volant.
Que j’épargne ou non dans cette banque, il y aura toujours autant de milliards investis dans les énergies fossiles ou l’armement.
Que je prenne ou non ce vêtement de fast-fashion, il sera quand même produit et acheté massivement par des milliers de consommateurs addicts à l’e-commerce.
La liste est longue.
Que ce soit pour des enjeux environnementaux, sociaux ou moraux, le comportement individuel pris isolément n’apportera jamais un changement du cadre normatif. Un changement radical nécessite aussi bien l’implication des pouvoirs publics, des entreprises que de nous, citoyens.
Pas besoin d’un post-doc en économie pour prendre conscience qu’il est nécessaire de tirer collectivement la « demande » dans une direction si nous espérons un changement de l’offre. Nous faisons tout·e·s partie de ce « nous » collectif.
Pourquoi ne pas appliquer le raisonnement inversé ? Plutôt que de se dire « peu importe si moi je… », nous pourrions dire « et quid si tout le monde faisait comme moi ? ».
Si tout le monde prenait la plus grosse de voiture, y aurait-il encore des petits modèles proposés sur le marché ?
Si tout le monde mettait son argent dans des grandes banques peu soucieuses des impacts sociétaux de leurs investissements, qui permettrait à d’autres fonds d’investissement de voir le jour ?
Si tout le monde achetait en ligne les biens les moins chers, car de mauvaise qualité et/ou produits dans les pires conditions, qui ferait vivre les commerces locaux en voie de disparition ?
Si tout le monde prenait l’avion pour faire Bruxelles-Londres, y aurait-il encore une offre ferroviaire pour effectuer cet itinéraire ?
C’est indéniable. Les options les moins impactantes sont rarement les moins chères et les plus « faciles ». Mais à partir du moment où nous avons les moyens financiers et le consentement d’accorder un peu plus de temps pour adopter certaines options moins nocives que d’autres, qu’est-ce qu’il nous reste pour assumer sereinement de ne pas contribuer individuellement à déplacer la norme. Petit à petit, l’avion rentre au nid.
Crédit photographique : Adobe Stock
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