Réduction de la vitesse sur autoroute : une mesure qui ne convainc vraiment personne ? 

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C’est une proposition qui a eu le mérite d’animer une période de l’Ascension assez calme : le mercredi 28 mai, la Ministre flamande du Climat, Mélissa Depraetere (Vooruit) a proposé de réduire la vitesse sur autoroute de 120 à 100 km/h. Une proposition qui n’a pas manqué de créer le débat, y compris au sud du pays avec des questions parlementaires de Sophie Fafchamps (Les Engagés) et Maxime Daye (MR) aux Ministres Neven (MR ; climat) et Desquesnes (Les Engagés ; mobilité) lors d’une séance plénière du parlement de Wallonie.

Cette proposition de la Ministre Depraetere s’intègre dans un contexte compliqué en matière de politique climatique au nord du pays. En effet, la Belgique devait rendre à la Commission européenne son Plan National Energie-Climat (PNEC) – synthèse de l’ensemble des engagements de l’Etat Fédéral et des Régions pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2030 (-47% dans les secteurs non-ETS1) – pour le 12 mai 2025 au plus tard. Une échéance ratée, car la Flandre n’a toujours pas rendu sa copie… Un échec d’autant plus désespérant que la Belgique devait initialement rendre son plan pour le 30 juin 2024, que le plan flamand actuel (en cours d’actualisation) n’atteint que 33,7% d’ici 2030, et que le gouvernement flamand a annoncé qu’il limiterait ses réductions à 40%. La Ministre Depraetere, isolée face à deux partenaires de majorité au climato-scepticisme de plus en plus assumé, cherche donc désespérément des mesures à même de sauver le radeau flamand du naufrage climatique.

Or, la réduction des vitesses maximales autorisées présente un vrai potentiel climatique. En Wallonie par exemple, une réduction généralisée des vitesses de l’ordre de 20km/h sur l’ensemble du réseau routier permettrait de réduire de 4% (280.000 tonnes de CO2eq) les émissions de GES associées au transport2. En outre, cette mesure a aussi de nombreux cobénéfices en matière de sécurité routière, et est particulièrement peu coûteuse à mettre en place. Tout bénéfice sur le papier.

Pourtant l’opposition politique face à elle est farouche. Une opposition qui ne date pas d’hier. En septembre 2022, par exemple, Philippe Henry, alors ministre wallon du Climat, de l’Energie et de la Mobilité, avait proposé une réduction de vitesse généralisée, y compris sur autoroute, dans son projet de Plan Air Climat Energie (PACE ; pendant wallon du PNEC). Branlebas de combat au PS et au MR, où on n’avait pas manqué de clouer la proposition au pilori. A priori pas de rebond d’enthousiasme pour cette proposition en 2025, le Ministre Desquesnes renvoyant la balle au gouvernement fédéral (qui a, il est vrai, la responsabilité de ce dossier), préférant parler de respect des limites de vitesse actuelles et de réduction dynamique des vitesses3.

Un accueil frileux et un manque de volonté politique qui fait dire au Soir que « la proposition des 100 km/h n’a convaincu (presque) personne ». Pour ce qui est de la sphère politique, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais qu’en pensent vraiment les Belges ?

Le mois dernier, Canopea a réalisé un sondage auprès de 1600 Belges. Il ressort de ce sondage que le tableau n’est pas si noir qu’il pourrait sembler au premier abord.

Comment avons-nous réalisé le sondage ?

Nous avons interrogé 2342 personnes de plus de 18 ans résidant en Belgique via les panels en ligne de l’entreprise de sondage Dynata, et avons reçu 1599 réponses complètes. Sur base de critères de qualité (cohérence des réponses, temps de réponse, présence de motifs (« straightlining »)), 327 réponses ont été exclues de l’analyse.

L’échantillon final considéré (1272 personnes) inclut 401 Bruxellois, 467 Flamands et 404 Wallons. Ces tailles d’échantillon permettent d’obtenir un niveau de confiance de plus de 95%4 et une marge d’erreur de moins de 5%5 (sur base de la formule de Cochran). Les réponses ont été ensuite été pondérées par région de domiciliation en utilisant les données démographiques issues du census de 2021 pour obtenir une réponse agrégée pour la Belgique. Les données peuvent ainsi être analysées tant au niveau fédéral que pour chaque région individuellement.

L’échantillon est représentatif en termes de genre pour chaque région individuellement. Il est également assez représentatif de la population belge en termes d’âge (légère sous-représentation des personnes âgées liée à l’usage d’un questionnaire en ligne), d’éducation (légère sur-représentation de personnes diplômées du supérieur), d’activité professionnelle et de situation familiale.

Nous avons présenté aux personnes interrogées un ensemble de mesures permettant d’améliorer l’efficacité énergétique de l’usage des voitures (y compris la réduction de vitesse) et leur avons demandé d’évaluer, suivant une échelle de 1 à 5, dans quelle mesure (1) ils étaient d’accord avec la mesure, (2) ils accepteraient la mesure et (3) ils trouveraient la mesure injuste envers eux. Les graphiques présentés ici synthétisent les réponses obtenues. Cet article ne présente qu’une petite partie des résultats obtenus. L’analyse finale sera publiée via notre newsletter d’ici la fin de l’année. Pour ne pas la rater, abonnez-vous à notre newsletter.

En effet, nous avons demandé aux sondés ce qu’ils pensaient de trois mesures de réduction de vitesse différentes :

  1. Une réduction généralisée de la vitesse maximale autorisée de 120 à 100 km/h
  2. Une réduction volontaire de la vitesse (sur base de panneaux incitant à ralentir)
  3. Une réduction dynamique de la vitesse maximale autorisée de 120 à 100 km/h (sur certains tronçons, à certaines heures et en fonction de certaines conditions)

Sans surprise, il ressort de réponses obtenues (Figure 1) que la réduction généralisée de vitesse est moins populaire auprès des Belges que les deux autres mesures de réduction de vitesse. De manière surprenante, la réduction de vitesse volontaire est également moins populaire que la réduction dynamique des vitesses, qui remporte une large adhésion.

Lorsque l’on analyse plus en détail la réduction de vitesse généralisée, force est de constater son caractère clivant. On remarque notamment que la proportion d’indécis est plus faible que pour les autres mesures (11% contre 19%). De plus, il y a davantage d’opposition à la mesure (47%) que d’adhésion (42%), mais ni l’opposition ni l’adhésion ne sont majoritaires. Enfin, lorsque l’on regarde l’acceptabilité, celle-ci est plus élevée que l’adhésion, et le rapport de force s’inverse alors : davantage de personnes sont prêtes à accepter la proposition (48%) qu’à la contester (40%). Il est donc faux de dire que la mesure est impopulaire, et imprécis de dire qu’il n’y a pas d’adhésion de la population, car il n’y a pas fondamentalement plus d’opposition à la mesure que d’adhésion.

Figure 1 : Adhésion et acceptabilité aux mesures de réduction de vitesse au sein de la population belge (n = 1272)

En ce qui concerne les disparités régionales, les Wallons sont davantage opposés aux mesures de réduction de vitesse sur autoroute, quelles qu’elles soient, tandis que les Bruxellois y sont plus favorables (Figure 2). L’ordre de préférence des mesures est stable, quelle que soit la région, bien qu’on remarque une adhésion plus importante à la réduction volontaire chez les Bruxellois.

Figure 2 : Adhésion par région aux mesures de réduction de vitesse (n = 1272)

Lorsque l’on analyse l’acceptabilité (et non plus l’adhésion), un point très intéressant apparaît (Figure 3) : la majorité des Flamands (51,8%) et la quasi-majorité (49,4%) des Bruxellois sont prêts à accepter une mesure de réduction de vitesse généralisée sur l’autoroute. Les Wallons, eux, ne sont pas encore une majorité à accepter la mesure (42,1% seulement), mais celle-ci pourrait passer si l’on rajoute les indécis (53,5%). Les autres mesures sont, elles, majoritairement acceptées partout.

Figure 3 : Acceptabilité par région aux mesures de réduction de vitesse (n = 1272)

Contrairement aux idées reçues, il existe donc bel et bien une fenêtre d’opportunité pour adopter des mesures de réduction de vitesse sur autoroute. Pour la réduction de la vitesse maximale autorisée à 100km/h, cette fenêtre d’opportunité est plus importante en Flandre et à Bruxelles qu’en Wallonie. Reste donc à convaincre les Wallons indécis que rouler moins vite sur autoroute fait certes perdre un petit peu de temps, mais a de nombreux bénéfices tant pour le climat que la sécurité routière.

Crédit image d’illustration : Adobe Stock

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  1. Tels que la mobilité, l’agriculture, le secteur résidentiel et tertiaire, … ↩︎
  2. Pour une synthèse des bénéfices de la mesure, voir l’excellent briefing réalisé par Pierre Courbe : https://www.canopea.be/a-vitesse-raisonnable-vers-un-futur-desirable/ ↩︎
  3. Une mesure défendue notamment de longue date par la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB, patronat fédéral) pour améliorer la fluidité du trafic et réduire l’impact économique des bouchons. ↩︎
  4. Probabilité que les réponses obtenues soient les mêmes quel que soit l’échantillon ↩︎
  5. Risque que les réponses de l’échantillon ne représentent pas celles de la population ↩︎