Jacques Teller est professeur d’urbanisme et d’aménagement du territoire à la Faculté des Sciences Appliquées de l’ULiège. Ses recherches sont centrées sur la ville inclusive et durable, abordée à différentes échelles, depuis celle du quartier jusqu’à celle de la planification régionale.
Il est l’un des co-auteurs du référentiel wallon sur les Quartiers durables et du référentiel pour les Constructions et aménagements en zones inondables, ainsi que du référentiel Gestion Durable des Eaux Pluviales. Il travaille sur la gestion des risques en milieu urbain, et plus spécifiquement l’exposition aux risques climatiques et les politiques d’adaptation associées.
Quel est l’objet dont tu fais beaucoup usage, en tant que prof d’urbanisme ?
Mon ordinateur portable. Une véritable extension de ma personne. On m’a volé mon ordinateur il y a quelques années et je me suis rendu compte à cette occasion à quel point j’étais devenu dépendant de cet objet au quotidien, même pour des choses très simples comme mon emploi du temps. J’ai dû acheter en urgence un nouvel ordinateur le lendemain du vol (le lendemain !). J’avais heureusement une sauvegarde assez récente de mes données. Depuis lors, je ferme systématiquement la porte de mon bureau à clé lorsque je n’y suis pas.
Est-ce que tu peux nous raconter ton souvenir le plus ancien, lié au campus du Sart-Tilman, où tu enseignes ?
Mon premier souvenir du site est lié à la découverte des cheminements qui déambulaient dans la forêt et aux œuvres d’art du Musée en Plein Air, dispersées sur le campus. De nombreuses autres œuvres s’y sont ajoutées depuis lors.
Rénover les bâtiments existants, cela te parle ? As-tu en tête quelques exemples ?
Oui bien sûr. Les projets de Lacaton et Vassal (https://www.lacatonvassal.com/). Plus près de chez nous, le Val-Benoît ou l’OM à Seraing… Tous ces projets me semblent assez emblématiques d’une certaine vision de l’architecture, comme art de la récupération. Quelques beaux exemples au Sart-Tilman également avec les rénovations énergétiques des bâtiments de physique chimie.
Le campus du Sart-Tilman, c’est, à la fois, une aberration urbanistique, au vu de sa localisation, et un ensemble remarquable, du point de vue architectural et paysager. Ne pas reconnaître le caractère ambivalent du site, c’est se priver d’une clé de lecture indispensable pour envisager sa transformation et son intégration dans la ville. Car oui, pour moi, le Sart-Tilman est « en ville ». C’est évident lorsqu’on visualise le site sur Google Maps et que l’on observe le grignotage des espaces verts par du tissu pavillonnaire et commercial partout à sa périphérie.
As-tu vu une évolution dans la gestion des espaces verts autour de ta Faculté ?
Les espaces verts sont de plus en plus animés et appropriés par les usagers. On voit se développer des projets collectifs : potagers, animations, … La forêt est très largement préservée, ce qui n’est pas nécessairement le cas en dehors du campus. Des efforts sont faits pour maintenir et entretenir les milieux ouverts, de grande qualité. L’infrastructure piétonne et cycliste s’est fortement étoffée, avec des gabarits conformes aux attentes actuelles. Le Sart-Tilman est devenu en quelques années une des zones les plus cyclables de toute l’agglomération liégeoise.
Aimes-tu observer les espèces sauvages qui vivent à proximité de ton lieu de travail ?
Oui. Nous avons eu un printemps assez fantastique cette année, avec une floraison incroyable des camélias et des cerisiers, mais ce ne sont pas vraiment des espèces sauvages.
Quand on parle d’adaptation, le sujet de l’urbanisme tactique me vient en tête, et en particulier l’approche que tu as développée à ce sujet. Peux-tu nous en donner un aperçu ?

L’urbanisme tactique, c’est une forme d’humilité. Reconnaitre qu’il est parfois utile d’expérimenter, d’observer les changements opérés, avant de se lancer dans des investissements lourds et coûteux.
Avant le COVID, il s’agissait d’une forme assez marginale, voire contestataire, d’intervention dans l’espace public. Avec le COVID, on a vu à quel point les villes et autorités publiques pouvaient se baser sur ce type d’interventions temporaires, parfois « bricolées », pour transformer à moindre frais l’environnement urbain, dans une optique de réversibilité, d’apprentissage et d’appropriation par les usagers.
Durant le XXe siècle, l’ULiège s’est emparée de la question de la gestion de l’eau, avec une vision très « canal – drain – barrage », surnommée « vision de l’ingénieur ». Depuis, les circonstances ont fait évoluer vers une plus grande prise en compte des risques de l’artificialisation des sols. Comment te situes-tu, avec ton travail d’enseignant, dans cette évolution ?
La question de l’eau est devenue fondamentale en urbanisme. C’est un facteur dimensionnant pour les nouveaux aménagements, tant en termes d’exposition aux aléas que de gestion durable des eaux pluviales. On assiste à la mise en place d’une nouvelle forme d’ingénierie, à la croisée entre urbanisme et écologie du paysage, qui va exploiter des solutions basées sur la nature. Ces dispositifs sont à présent intégrés dans l’enseignement, mais il reste beaucoup à faire pour qu’ils trouvent une place à part entière dans les projets immobiliers et urbanistiques. Ici aussi, on voit fleurir une forme de « greenwashing » à travers la mise en place de solutions qui semblent plus orientées vers la publicité que vers l’efficacité. Il est dès lors important de pouvoir anticiper et mesurer les véritables bénéfices des solutions proposées.
Si tu devais monter une expo sur les services rendus par la nature, comment en parlerais-tu à tes étudiant.es ? Est-ce que tu les impliquerais ?
De façon générale, je suis assez réservé quant à l’implication des étudiants dans des activités extracurriculaires. Ils ont déjà un emploi du temps fort chargé.
Pour épargner des terres non urbanisées à la frontière entre Chaudfontaine, Fléron, Beyne-Heusay et Liège, au site baptisé Ry-Ponet, j’ai défendu l’idée d’un parc métropolitain pour mettre en valeur cette mosaïque de milieux. Qu’en penses-tu aujourd’hui ?
Cette idée a bien progressé au cours des dernières années. Reste à trouver un moyen pour la traduire dans les documents d’aménagement, dont le plan de secteur. Et de faire vivre le projet en collaboration avec la société civile et le secteur économique, associatif et culturel.
Une œuvre d’art à laquelle ces questions t’ont fait penser ?
La Fontaine de Marcel Duchamp. (fr.wikipedia.org/wiki/Fontaine_(Duchamp))
Une promenade ou un livre que tu nous conseillerais ? (ou les deux 😊)
Une promenade dans l’arboretum en forêt de Soignes. Une « forêt urbaine » avant la lettre, qui nous transporte de l’Algérie au Montana.
Un livre : « Toute la terre qui nous possède », de Rick Bass. Histoire d’un jeune géologue, extrêmement talentueux, qui fait de la prospection pour les sociétés pétrolières au Texas et qui, dans le même temps, entretient une relation charnelle avec la nature. Toutes les contradictions de notre époque condensées en un roman, qui entremêle histoire, écologie et paysages.
En savoir plus
Le blog de Jacques Teller : Projet urbain – Blog de Jacques Teller, Université de Liège (https://projeturbain.net/)
Pour Echelle Humaine, d’autres interviews sur le ressenti ont été menées, dont voici un échantillon :
- Anne Nyssen sur la rénovation du bâti
- Julie Charles sur les friches
- Jacob Hasbun sur le sol
- Agathe Defourny sur le sol
- Sophie Tilman sur les outils de l’aménagement du territoire
- Sophie Dawance sur les infrastructures sociales
Crédit image d’illustration : Adobe Stock
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