Eau : qui pollue et qui « répare » ?

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Trois secteurs exercent une pression sur la qualité de l’eau. Le premier paie pour réparer, le second paie insuffisamment mais dipose de peu de moyens pour faire mieux et le troisième a les moyens mais ne paie pas. Analyse.

239. C’est le nombre de masses d’eau de surface qui sont en mauvais état chimique, sur les 352 que comptent la Wallonie. Soit 68% de nos cours d’eau qui ne répondent pas aux standards environnementaux.

En cause ? Les 3 secteurs principaux qui induisent une pression importante sur la qualité des eaux de surface : les rejets domestiques (ménages, services et PME), les rejets industriels et les pollutions d’origine agricole (le ruissèlement entraînant avec lui engrais et pesticides utilisés dans les cultures).

L’enquête publique en cours sur les 3èmes plans de gestion par district hydrographique qui visent le bon état des masses d’eau pour 2027 est l’occasion de se pencher sur la responsabilité partagée des différents secteurs.

Evolution des pressions environnementales issues des différents secteurs

Les pressions issues des rejets domestiques sur le milieu aquatique sont en baisse drastique (diminution de 50% en moyenne entre 2011 et 2015) grâce à des investissements massifs réalisés par la SPGE (et financés en partie via la facture d’eau des consommateurs). Bien que des efforts soient encore à réaliser (notamment la mise en conformité des anciennes habitations et la complétude du réseau d’égouttage), la tendance est franchement positive.

Les pressions issues des milieux agricole et industriel ont quant à elles stagné sur la même période : pour l’industrie on observe une diminution de 15.5% des rejets d’azote et de 65% des métaux, mais une augmentation de 7% des matières en suspension et de 18% du phosphore ; pour l’agriculture : une stagnation des flux d’azote entre 2011 et 2015 avec variations interannuelles dues aux conditions météorologiques.

Contributions actuelles des différents secteurs à la récupération des coûts

Si les efforts de réductions des pressions sont très inégaux entre les secteurs, la contribution aux coûts des services de dépollution et aux coûts environnementaux l’est tout autant.

Ainsi, le secteur des ménages contribue à hauteur de 103% aux coûts de services et aux coûts environnementaux induits par ses rejets, soit un surplus annuel de 17.92 millions d’euros. Cette contribution se fait essentiellement via la facture d’eau des consommateurs.

Le secteur industriel ne contribue lui qu’à hauteur de 63.5% aux coûts générés par ses rejets, créant un déficit annuel de 26.4 millions d’euros. Il en va de même pour le secteur agricole qui ne couvre que 26% des coûts liés aux rejets de son activité, entrainant un déficit annuel de 22.01 millions d’euros.

Le calcul est clair : + 17.92 – 26.4 – 22.01= 30.49 millions d’euros. C’est donc le déficit annuel de contributions aux services d’assainissement et aux coûts environnementaux subit par la Wallonie.

Le texte européen qui encadre la limitation de ces rejets et la remise en état qualitatif des cours d’eau est pourtant clair : le principe de juste récupération des coûts doit être appliqué. Chaque secteur doit couvrir entièrement les coûts liés à la pollution générée par son activité.

Capacité des différents secteurs à atteindre une contribution de 100%

Les trois secteurs ne sont pourtant pas égaux en termes de revenus. Et si les revenus trop bas d’un secteur ne lui permettent pas de financer les coûts liés à son activité, il est compréhensible qu’un mécanisme de solidarité puisse être appliqué. Cela n’empêche que chaque secteur doit au moins contribuer à hauteur de ses moyens. Ainsi, en normalisant les coûts devant être portés par chaque secteur pour garantir le principe de récupération des coûts avec la capacité des différents secteurs à les assumer , on observe que les ménages contribuent en moyenne à hauteur de 0.85% de leur capacité, le secteur industriel à 0.18% de ses capacités et le secteur agricole à 13.24% de ses capacités. Une répartition juste voudrait que chaque secteur contribue à hauteur similaire. La Wallonie a ainsi fixé une valeur indicative à 2% des capacités du secteur.

   Valeur Seuil
MénagesCoût vérité assainissement par rapport au revenu d’un ménage à revenu moyen0,85%2%
IndustrieCoût annuel des mesures par rapport à la valeur ajoutée créée par le secteur0,18%2%
AgricultureCoût annuel des mesures par rapport au revenu des exploitants agricoles13,24%2%

On a vu que le secteur de ménages était le seul à contribuer à la juste valeur de ses impacts.

Le secteur agricole n’est pas en mesure de contribuer davantage aux coûts liés à son activité (contribution à seulement 26%, mais une contribution à 100% induirait un coût annuel trop important pour le secteur (13.24% de sa capacité, vs 2% valeur seuil recommandée)).

Le secteur industriel, quant à lui, ne couvre actuellement que 63% du coûts de ses rejets, mais pourrait tout à fait contribuer à 100%, puisque cela correspondrait à 0.18% de sa capacité soit une contribution 10 fois inférieure à la limite fixée par la Wallonie. Les deux secteurs industriels à qui incombe la plus grande responsabilité de rejets sont le secteur de la chimie et de l’industrie agroalimentaire.

Diminution nécessaire des rejets industriels

Afin de garantir une contribution du secteur industriel qui soit à la hauteur de ses rejets et de ses moyens, plusieurs étapes peuvent être envisagées.

Tout d’abord, limiter les rejets. Les normes de rejets industriels sont fixées par le permis d‘environnement qui encadre l’activité de chaque industrie. Ces normes ont été fixées il y a 20 ans, au moment de la mise en œuvre des permis d’environnement et sont vraisemblablement trop élevées par rapport à la charge polluante que le milieu peu effectivement absorber. Il y a donc lieu tout d’abord, de vérifier si les industries respectent les normes imposées par leur permis, et si c’est le cas, de baisser ces normes de rejets afin qu’elles soient compatibles avec un bon état des eaux de surface. Tout une série d’outils sont à disposition des entreprises pour limiter leurs rejets, notamment des prêts à taux 0 financés par la Wallonie pour l’installation de stations d’épuration industrielles.

Révision de la taxe sur les rejets industriels

Si les rejets ne peuvent être limités, alors il y a lieu d’augmenter la contribution financière du secteur à leur prise en charge. Notamment en augmentant la taxe sur les rejets industriels.

Cette taxe a été créée en 1990 et correspondait à 8.92 €/UCP (unité de charge polluante). Elle n’a pas été indexée jusqu’en 2013. A ce moment, le Gouvernement Wallon en place décide de soumettre cette taxe à l’indexation. Elle passe alors à 13€/UCP en 2014, puis évolue jusqu’à 16,65€/UCP en 2023. La taxe wallonne reste cependant largement inférieure à ce qui existe en Flandres (37 €/UCP).

Une révision de cette taxe était dans les cartons du GW en 2022. Suite à l’insécurité économique générée par le conflit Russo-Ukrainien, il est devenu frileux et le Plan de gestion a finalement simplement suggéré « d’étudier l’opportunité de réviser la taxe ».

Les projections économiques sont pourtant bien moins désastreuses que ce que craignaient les représentants des entreprises. Ainsi, la marge bénéficiaire des entreprises en Belgique est estimée à 41% en 2023 (contre 44% en 2022). Le tout restant tout à fait dans la moyenne 2015-2019 à 42% (Chiffres BNB, janvier 2023). Les chiffres de la BNB confirment que les grandes comme les petites entreprises ont et conserveront des marges largement supérieures aux marges moyennes gagnées sur la période 1999-2019 malgré le contexte.

Le secteur industriel wallon est donc tout à fait en mesure de supporter une révision de cette taxe, et d’ainsi contribuer aux coûts engendrés par son activité sur les services d’assainissement et sur les écosystèmes. Cette révision permettrait d’aider au financement juste du secteur de l’eau et des services qui y sont liés à long terme.

Cette révision permettrait surtout de couvrir le déficit de 26 millions d’euros par an que coûtent les rejets industriels à la Wallonie… un beau cadeau que la Région fait au secteur industriel, qui frise les limites de la législation relative aux aides états et qui est en contradiction totale avec le principe du « pollueur-payeur ».

La crise environnementale : une raison de changer le business as usual ?

Et si ? Et si une entreprise émet toujours une quantité de polluants dans l’environnement qui est au-delà des normes environnementales, alors qu’elle a mis en œuvre toutes les technologies à sa disposition permettant de limiter ses rejets ? Doit-elle fermer ? Doit-elle diminuer son activité ? Doit-elle se déplacer dans une zone où les rejets sont moins impactant pour les écosystèmes ? Tant que la préservation de l’environnement est compatible avec le business as usual, il n’y a pas de raison de changer diront certains… On ne va quand même pas limiter l’activité économique pour préserver les écosystèmes lanceront d’autres…

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