Echelle humaine : En direct du Décodage à Herstal

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« Marcher, c’est penser avec les pieds » disait le philosophe Michel Serres : notre Décodage de terrain à Herstal ce 28 mai 2019 l’a confirmé dans les grandes largeurs. Une marche de plus de 10 Km nous a conduits de la gare de Herstal aux entrepôts des anciens ACEC, en passant par les quais du Canal Albert et un Musée de l’Ephémère en pleine floraison. Chaque étape a été l’occasion de réfléchir à la 3e balise du Stop Béton, l’échelle humaine.

Après « Pourquoi marcher ? », une nIEWs qui expliquait en quoi l’accessibilité piétonne et en  transports en commun constitue la première balise du Stop Béton, puis la nIEWs « Fini les coupures ! », qui évoquait l’accessibilité vélos et PMR de la deuxième balise, voici l’échelle humaine, troisième balise du Stop Béton.

Bref rappel des 8 balises du « Stop Béton ! »

Dans  notre avis de Fédération sur le projet de SDT, nous avons proposé des mesures positives pour contrer l’éparpillement de l’urbanisation. Huit balises ont servi de référence pour construire ces mesures :

  1. l’accessibilité piétonne et en transports en commun
  2. l’accessibilité aux cyclistes et aux PMR
  3. l’échelle humaine
  4. le paysage bâti et non bâti
  5. le remploi des matériaux et la restauration des bâtiments
  6. les aménités existantes
  7. les activités économiques existantes
  8. la végétation et les espaces verts en place – les continuités entre espaces naturels

Alors, cette échelle humaine ?

L’échelle humaine c’est un autre sens des proportions, pour donner davantage de sens à notre paysage urbain et rural actuel. L’échelle humaine prend en considération les capacités physiques, mentales et affectives des humains ; elle se base sur nos perceptions. Comme ces paramètres sont relativement variables d’une personne à l’autre, l’échelle humaine n’est pas une valeur absolue. Mais, intuitivement, on comprend qu’elle s’oppose à la mégalomanie, à l’uniformité, à l’artificialisation.

Concevoir un urbanisme à échelle humaine, c’est arrêter de regarder les sites et les projets du point de vue de Sirius, d’où tout paraît toujours trop petit, trop modeste, pas assez visible ou affirmé. A hauteur d’homme, de femme ou d’enfant, on  prend mieux la mesure des constructions et du contexte, on apprécie mieux les distances, on regarde mieux le paysage environnant. On réalise que les trajets peuvent être bien trop longs, et les gabarits trop monumentaux, que la petite musique du familier et de l’agréable risque d’être complètement étouffée. Alors on se met, peut-être, à concevoir de meilleurs projets.

Aider les urbanistes, les architectes et les communautés locales à concevoir de meilleurs projets à l’aide de l’échelle humaine, c’est la motivation première qui anime Jan Gehl lorsqu’il répète inlassablement, de colloques en congrès, « la bonne architecture ne dépend pas des formes, mais bien de l’interaction entre la forme et la vie, ce qui est bien plus difficile et exigeant ».

Stéphane Baillargeon, dans son article « Le rebâtisseur de villes » paru dans Le Devoir en 2011, explique de manière très accessible la philosophie de Jan Gehl, dont l’ouvrage « Pour des villes à échelle humaine », publié à Montréal en 2013 est consultable sur le site des Éditions Écosociété,  dans la rubrique « Territoire en mouvement ».

Lors du 3ème colloque international sur les villes à échelle humaine CEPESS, en 2017, Jan Gehl en personne est venu exprimer à Bruxelles ses réflexions, avec toute la bonhommie qui le caractérise. Ces réflexions ont alimenté l’avis d’IEW sur le projet de Schéma de Développement du Territoire. A présent que le SDT a été définitivement adopté par le Gouvernement wallon, nous veillerons à ce qu’il garde les pieds sur terre quant à l’habitabilité, à l’accessibilité financière et physique, et au respect des aspects environnementaux. Nous estimons que ces paramètres sont affectés par toute intervention sur le territoire. Donc, à plus forte raison, par les projets que le SDT est destiné à encadrer.

Pourquoi se servir de l’échelle humaine pour stopper le béton ?

Trajet du Décodage à Herstal reporté en jaune sur plan. Le point de départ (D) est dans la case 38b et le point d’arrivée dans la case 19c située en haut du document.

L’échelle humaine est indispensable au « Stop béton ! » parce qu’elle ramène à des proportions plus raisonnables, encourage à la parcimonie et à la modestie. Cette sélection de quelques étapes du cheminement effectué lors du Décodage de terrain à Herstal va vous permettre d’appréhender la notion d’échelle humaine à travers des cas concrets.

Station en attente

Notre Décodage débute par une pluie battante, nous nous protégeons sous le préau du nouveau bâtiment de la gare de Herstal construit côté ville (photo en début d’article, de Ravidiran Botman). Il forme avec ses abords un lieu en devenir, que la SNCB a visiblement oublié une fois les travaux effectués : la gare de Herstal a été réduite au statut de point d’arrêt non gardé, et Herstal est absent sur la carte du réseau simplifié actuellement affichée dans tous les halls de gares du pays, alors que plusieurs autres points d’arrêt non gardés – celui de Marche-en-Famenne par exemple – figurent sur l’affiche.

Curieuse omission de la SNCB qu’il serait temps de rattraper, tant cet arrêt a de potentiel pour un usage plus intense. La régie communale autonome Urbéo a des projets pour l’ancienne station actuellement à l’état d’abandon, en contrehaut de l’autre côté des voies. Elle prévoit d’effectuer une rénovation complète pour y implanter un pôle associatif et des bureaux. Ce projet de réaffectation, inscrit dans le programmation FEDER 2014-2020, pourrait stimuler une remontée en grade de l’arrêt. Mais à quand un rétablissement de la liaison directe avec Anvers-Central, interrompue depuis plusieurs mois ? Pour le coup, cela mettrait un fameux coup de projecteur sur le nouvel édifice qui combine notre préau, une tour d’escalier monumentale et un local destiné à une activité tertiaire. Alors que la régie parachève plusieurs nouveaux immeubles d’habitations à quelques mètres de là, les participants au Décodage s’interrogent sur la possibilité réelle de développer aujourd’hui un commerce à cet endroit positionné en retrait par rapport à la voirie principale.

Lieu de restauration ouvert à tous : le Saroléa

L’armature commerciale de Herstal, en déclin depuis plusieurs années, commence à reprendre des forces. Et c’est à front de voirie que les enseignes se rallument. En témoigne, au n°84 de la rue Saint-Lambert, le Saroléa, un délicieux restaurant d’économie sociale hébergé dans le Motorium Saroléa avec les activités d’une ASBL à vocation sociale, l’Association Interrégionale de Guidance et de Santé (AIGS).

Vantail de la porte d’entrée du Saroléa, préservé malgré la fermeture de l’usine de motos Saroléa et pleinement rétabli dans ses fonctions d’origine (Photo H. Ancion)

Herstal a un long passé industriel, qui se prolonge dans le présent. Plusieurs entreprises, toujours actives, ne se sont pas délocalisées et ont voulu maintenir le lien avec la vie sociale de la commune. En ce qui concerne la disponibilité immobilière, la diversité de l’offre en anciens ateliers, entrepôts, cours et quais de chargement n’a pas échappé aux investisseurs. La priorité aujourd’hui doit être de conserver et de valoriser ce patrimoine inséré dans le tissu urbanisé. Sa complexité architecturale permettra aux activités actuelles et futures de se dérouler dans des locaux adéquats, intéressants, qui ont grand besoin d’une seconde vie.

L’Impasse Serwir va mieux servir

Un détour par l’Impasse Serwir, auquel nous invite Véronique Dejong, Directrice des travaux de la commune de Herstal, provoque une onde de réactions enthousiastes. Préalablement obscurci par des constructions en premier et second rang, le petit passage est devenu en quelques mois une ruelle soignée. Urbeo, la régie communale autonome immobilière de Herstal, a mené ce projet qui tient dans un mouchoir de poche. Minimum de démolitions pour un maximum d’effet. Les bâtiments de l’impasse et les immeubles voisins en retirent de nombreux bénéfices, dont la lumière n’est pas le moindre. Plusieurs occupants et propriétaires ont entamé à leur tour des  rénovations, encouragés par cette dynamique contagieuse. L’Impasse Serwir s’est réinscrite dans le réseau des rues de la ville.

Le boulodrome et le glyphosate pour traverser un cœur d’îlot

A quelques pas de là, entre les rues Hayeneux et Haute-Marexhe, le site du Cœur de Hayeneux a été complètement rénové pour installer des bâtiments, des espaces verts et des pistes de pétanque. Le club local a remporté plusieurs titres internationaux et la commune a décidé de lui réserver des installations dignes de son talent. Ce faisant, elle a ouvert un nouveau passage à travers un îlot qui formait un vaste bloc hermétique.

Ce passage n’est pas la seule nouvelle rue à Herstal, et c’est une très bonne idée de morceler, par un réseau viaire de qualité, les unités trop vastes, peu aptes à l’habitabilité. Les habitants des immeubles résidentiels récemment construits sur le site ont ainsi à portée de jambes une plus grande variété d’itinéraires. Nouvelles rues, oui, nouvelles routes, non !

En parlant d’itinéraire, que fait cette pelouse desséchée sur notre parcours ?

Bancs en bois et acier Corten, pelouse imprégnée de désherbant, Cœur de Hayeneux (Photo R. Botman)

Le doute n’est pas de mise, quelqu’un a déversé du désherbant sur le tapis d’herbe et de trèfle. Il aura suffi de quelques pulvérisations pour ruiner un tapis sympathique. Même après une reprise de la végétation, le produit sera toujours présent dans le sol et continuera à affecter ses usagers, végétaux comme animaux. Bye bye les cumulets.

L’usage des herbicides et autres produits phytosanitaires n’est-il pas interdit dans les espaces publics en Wallonie ? Lorsque les usagers de l’espace « vert » sont confrontés à ce genre de délit de fuite, cela peut décourager leur participation à un environnement meilleur par des petits gestes à leur portée. Il y a déni de l’échelle humaine.

Le Musée de l’Ephémère

Après avoir longé le Canal Albert et traversé le boulevard  Zénobe Gramme où les boîtes à chaussures de commerces et entreprises règnent en maîtres, nous remontons vers la Chapelle Saint-Orémus par la rue des Mineurs. Nous bifurquons presqu’immédiatement à droite dans ce qui ressemble à un terrain vague. Et, malgré la drache belge, l’émerveillement s’empare du groupe.

Plan rapproché sur une partie du Musée de l’Ephémère, au pied de l’administration communale. Les boîtes noires sont des containers recyclés en lieu de réunion et future restaurant. (Photo R. Botman)

Nous venons d’entrer dans le Musée de l’Ephémère, un musée à ciel ouvert où la biodiversité et l’art se fondent l’un dans l’autre et l’un sur l’autre. Werner Moron, qui anime ce lieu avec Dorothée Luczak, nous explique les principes qui ont guidé la reconversion du site. Le Département Éducatif de Natagora a choisi Herstal pour développer le premier centre d’éveil à la nature en milieu urbain. L’association entend y promouvoir « la préservation de la nature, la conservation des plantes sauvages et indigènes, la détente, l’art participatif, les démarches éco-responsables, l’apprentissage, les formations et la collaboration avec des publics de tous les âges ». Tout cela prend progressivement place sur un vaste lopin de rocailles au relief irrégulier, qui était encore il y a peu un parking d’arrière-cour. En un an, les végétaux les plus variés ont peuplé les moindres recoins, et les insectes sont revenus. Il y a des endroits très secs, d’autres ombragés et humides ; chaque pas offre une découverte.

Werner Moron décrit l’implication des jeunes qui travaillent avec lui à jardiner et construire du mobilier. Ils réalisent que leurs capacités dépassent tout ce qu’on leur avait laissé croire jusqu’alors. Quant aux riverains, ils avaient d’abord pesté contre ce qui ressemblait à un champ de ruines mais la curiosité les pousse à revenir voir de près et les invectives se sont muées en conversations complices « sur ce qui pousse et sur ce qui traîne ».

Musée de l’Ephémère, terrasse au milieu du jardin et banc réalisé pour le site (Photo R. Botman)

Le dîner nous fait découvrir un autre aspect du Musée de l’Ephémère, les containers. Posés en carré sur une terrasse de béton, ils sont aussi noirs dehors que blancs dedans. Les locaux aménagés à l’intérieur démentent toute idée préconçue sur l’exiguïté ou l’inconfort d’un container. Michaël Pelsser, un jeune traiteur, y a installé Miiix, « le premier bar expérientiel et pédagogique de Wallonie ». Il travaille avec des producteurs locaux. Son objectif : conscientiser les jeunes et les moins jeunes aux bienfaits d’une alimentation équilibrée. Il entend y parvenir à la fois par les plats et boissons qu’il propose et par des dispositifs ludiques et éducatifs. Notre groupe admire et puis s’attable. Silence, on mange ! Ou presque, parce que tout le monde a envie de parler. Notamment, de la qualité du buffet.

Remontée des escaliers et passerelle rouge

C’est dur de s’arracher au Musée de l’Ephémère. En montant vers l’administration communale par l’escalier en graviers, les marches offrent en guise de consolation un point de vue extraordinaire sur le paysage du musée et sur la vallée de la Meuse.

Talus rocailleux du Musée de l’Ephémère et escalier vers l’administration communale. Entre les parois en losanges vitrés et plantés, la passerelle rouge en surplomb (Photo R. Botman)

L’idée de l’ouverture du passage et du point de vue vers la vallée est venue dès la conception du nouveau bâtiment de l’administration communale, projet de Frédéric Haesevoets primé lors d’un concours d’architecture. Sa forme en H, dont la barre est une passerelle rouge qui surplombe l’espace public, a permis l’échappée visuelle et amorcé une nouvelle circulation piétonne et cycliste à travers les îlots, telle que le GRACQ de Herstal la demande depuis des années. Récemment, ce nouveau passage public a enfin débouché sur ce qu’on pourrait bien appeler un « pôle d’attraction » : le Musée de l’Ephémère. Pour ouvrir à tous la possibilité d’y accéder, il manque encore de bonnes rampes PMR à chaque accès. Ce serait plus pratique pour tout le monde.

« Ne rien construire… ne rien détruire… avant d’être sûr de proposer mieux »

Les étudiants de l’atelier Masters CONTRE ET/AVEC L’ARCHITECTURE de l’ULiège sont au rendez-vous, place Jean Jaurès. L’échelle humaine est au centre de leur réflexion.

Chaque année académique, les professeurs Marina Frisena et Pacal Noé demandent à leurs étudiants de travailler sur un site existant, de grandes dimensions, en milieu urbanisé, pour y développer un masterplan et des projets de constructions individuelles. Il s’agit d’une option pour les classes terminales qui aborde la problématique de l’intervention dans le bâti existant en architecture. Le masterplan fait appel à la prise en compte du contexte et à la capacité d’élaborer une vision macro, tandis que les projets de détail exigent que les étudiants, tout en se référant à leur propre analyse contextuelle, proposent des solutions architecturales à échelle humaine.

Place Jean Jaurès, explications par les étudiants en architecture de leur analyse du contexte, de leur diagnostic et de leurs propositions (Photo H.Ancion)

En 2018, l’atelier CONTRE ET /AVEC l’architecture travaillait sur le site des Trixhes, ce qui a permis d’enrichir notre Décodage aux Trixhes par les multiples propositions des étudiants. En 2019, les professeurs ont choisi de travailler sur Herstal, et notre visite a donc pu inclure le diagnostic et les propositions de deux groupes d’étudiants durant le Décodage.

Ils n’hésitent pas à bousculer les préjugés et affirment que la commune est très verte, qu’il serait judicieux d’y faire passer le futur tram et de créer de nombreux petits logements variés, insérés dans le tissu existant, plutôt que de les rassembler dans de grands immeubles. Ils proposent d’équiper la localité d’infrastructures davantage tournées vers la nature et l’alimentation saine, comme une ferme et des cultures vivrières, par exemple.

Voici l’énoncé qui avait été transmis par les enseignants à leurs étudiants : « La vétusté actuelle des infrastructures qui ont été érigées est la manifestation du temps qui s’égrène. Il convient d’en saisir les enjeux passés autant qu’actuels ; de porter sur eux un regard attentif afin de pouvoir intervenir d’une manière mesurée et précise, engageant le présent sans défaire l’histoire – c’est l’idée d’un diagnostic par le projet plutôt qu’une adaptation aveugle. La réutilisation de l’existant constitue alors le point de départ de l’écriture du projet architectural. Le « sans intérêt » va se transformer, se densifier par surélévation, par extension ou par restructuration. Ces notions de transformation, de densification, constituent les thèmes prédominants de l’atelier et représentent par ailleurs une des préoccupations essentielles de l’architecture et des praticiens aujourd’hui. Le bâti existant passe dés lors de l’état de « banal » à état de « renouvellement » et au statut de devenir. La notion d’analyse du cadre bâti existant [porte sur] sa structure, son histoire, sa nomenclature,  (…). L’environnement prend dès lors toute son importance. Toutes les échelles de l’architecture sont abordées, partant de l’analyse du site à investir jusqu’au processus de création précis et les détails d’exécution. »

«Ne rien construire… ne rien détruire… avant d’être sûr de proposer mieux »  a servi de fil rouge à l’atelier de cette année. Ça fonctionne plutôt bien avec le « Stop Béton ! »

La longue marche sur la rue qui change constamment de nom

De l’espace de rencontre de la place Jean Jaurès, nous regagnons la rue Elisa Dumonceau, qui devient peu après la Large Voie. Notre colonne se déplace sur des petits trottoirs en direction du nord-est, puis plein nord à partir de la place Licourt. La rue devient alors celle du Grand Puits, puis du Crucifix, et changera encore de nom à hauteur de notre dernière étape, les ACEC, en prenant le nom de Pierre Joseph Antoine. Sur le parcours du matin, en direction du sud, vers Liège, les noms étaient aussi variés : rue Hoyoux, rue Saint-Lambert, rue Hayeneux. La jonction avec Liège – si vous souhaitez relier les deux communes à pied – se fait à la place Coronmeuse, à l’entrée de l’ancien site des expositions, où un projet de nouveau quartier est en germe. De là, la rue devient rue Saint-Léonard, l’artère principale du quartier nord de Liège, avant de rejoindre la place Saint-Lambert via Feronstrée et la place du Marché.

Tous ces tronçons font partie de l’ancienne voie de Liège à Maastricht. A Herstal, les façades des établissements et des maisons qui la bordent n’ont eu de cesse de se moderniser, de tenter d’attirer le chaland et le client avec des vitrines, des ferronneries, des moulures, des carreaux de faïence, des jeux de briques de couleurs, comme un catalogue multi-siècles, du XVIe au XXIe. Derrière ces façades, les parcelles ont souvent plus de quatre cents ans. Leur largeur s’avère toujours aussi efficace pour moduler l’espace-rue et rythmer la marche. Pas trop larges, pas trop étroites. En voiture, c’est trop petit, à pied, c’est le nec plus ultra. C’est exactement ce type de largeur et de variété que les concepteurs de centres commerciaux se mettent aujourd’hui à vouloir imiter pour séduire à nouveau la clientèle.

Les ACEC

Les anciens Ateliers de Constructions Electriques de Charleroi (ACEC) sont situés au nord de la commune, à moins de deux Km du parc industriel des Hauts-Sarts. Cet énorme site comporte encore de nombreux halls industriels. Plusieurs bâtiments de bureau, des ateliers et des entrepôts ont été réhabilités. Ils abritent des services et commerces en tous genre. Une compagnie de théâtre, Arsenic2, y a même établi ses quartiers.

Ancien hall industriel des ACEC ; le camion garé à l’intérieur donne une idée des dimensions gigantesques. La voie ferrée désaffectée reliait le site à la Fabrique Nationale, la célèbre FN de Herstal, située plus au sud, et rejoignait la gare de Herstal en ligne directe. (Photo R. Botman)

Sur la rue Pierre Joseph Antoine, seul l’arrêt de bus a gardé le nom des ACEC. On pénètre librement sur le site, à pied, en voiture ou en camion. Véronique Dejong nous explique les démarches qu’a entreprises la commune avec la SPI pour mieux développer l’activité économique. Il s’agit de reprendre la main sur la gestion globale de l’aménagement pour orienter les candidats et ainsi tirer le meilleur parti des configurations disponibles. Sur les parcelles laissées vides après démolition, des assainissements vont avoir lieu, comme dans les grands halls encore inoccupés, pour permettre une mixité d’usages qui inclura le logement. A partir du masterplan conçu par Paola Vigano, ce sont à présent les projets de détail qui font l’objet d’études de faisabilité et d’hypothèses de phasage.

Ateliers et entrepôts déjà reconvertis pour de multiples activités économiques. La rénovation a utilisé un maximum d’éléments architecturaux et techniques existants. (Photo H. Ancion)

L’échelle humaine vient à la rescousse, face à un site aussi vaste à faire vivre. Elle est en effet la clé pour réhabiliter les friches et les intégrer dans le tissu urbain.

Elle invite à se défaire des habitudes de « modernisation » que l’on a pu voir appliquées partout en Wallonie. Ces vieilles habitudes consistaient à démolir pour installer des établissements standardisés et puis à continuer à démolir toujours plus loin, pour épurer, dégager une vue sur le nouvel objet architectural. Bien des édiles ont cru que c’était LA solution pour améliorer l’image de la commune et attirer des investisseurs. L’échelle humaine dit qu’il vaut mieux profiter de l’existant, qu’il ne faut pas chercher à gommer les particularités du site. Au lieu d’être considérée comme une absence de vision, cette approche parcimonieuse est le signe d’une vraie ambition. Elle nécessite beaucoup de courage face à la complexité et témoigne d’une grande considération, non seulement pour les futurs usagers du quartier, mais aussi pour ceux qui l’ont utilisé et pour ceux qui habitent à proximité.

L’authenticité a un prix, mais c’est un investissement rentable à long terme. Quand on a aussi peu de moyens que notre région et nos communes aujourd’hui, il est prioritaire d’organiser les équipes qui examineront les demandes de permis, avec des lignes directrices claires et une cohérence dans l’approche. Il faut abandonner l’optique d’un urbanisme de grandes zones et ne plus avoir peur de laisser faire l’urbanisation organique. Les pouvoirs publics doivent se reconcentrer sur des opérations qui tiennent la route, avec des acteurs locaux qui auront envie d’être les premiers usagers des réalisations qu’ils portent.

Chaque étape du Décodage a permis d’interpréter de manière spécifique divers aspects de l’échelle humaine. A vous d’en découvrir d’autres. Je tiens à remercier les participants pour leur implication dans cette exploration de Herstal. Rendez-vous aux prochains Décodages !

 PS 1 : Peut-être vous demandez-vous comment un article qui traite d’échelle humaine ne mentionne pas Le Corbusier et son modulor ? Je considère que, même s’il a abordé beaucoup l’échelle humaine, et même s’il l’a mise en application dans ses espaces intérieurs (appartements, maisons particulières), Le Corbusier ne lui a pas accordé d’importance dans ses gabarits, dans sa conception des espaces publics et des circulations autour de ses bâtiments ou dans sa vision de ce que devait être une ville. Bien d’autres personnes ont eu à cœur de repenser l’architecture et l’urbanisme avec davantage de générosité et de modestie, et bien d’autres le feront encore. L’histoire de l’échelle humaine continue !

PS 2 : Un scoop pour les lecteurs de la Lettre des CCATM : le périodique en version papier et pdf va prochainement se transformer en une newsletter digitale dont tous les articles seront accessibles sur le site de IEW. Et devinez quel sera son nouveau titre, pour bien se distinguer des nonante-cinq numéros papier antérieurs ? Echelle humaine !