S’il y a bien un consensus en Belgique, c’est sur la nécessité de rénover les bâtiments. Le bâti belge est mal isolé et ancien : en Flandre, 34% des bâtiments ont été construits après 1981, contre 23% en Wallonie et seulement 7% à Bruxelles. Il faut donc beaucoup d’énergie pour chauffer ce bâti, et nous le faisons majoritairement à partir d’énergies fossiles : 87% des ménages belges utilisent actuellement le gaz ou le mazout comme source de chauffage principale1.
Si tout le monde s’accorde sur le constat de la nécessité, force est de constater que le taux de rénovation n’a pas augmenté ces dernières années, malgré les efforts des autorités publiques pour proposer des primes et améliorer l’accompagnement des ménages (via les guichets énergie et les plateformes de rénovation en Wallonie, par exemple). Par ailleurs, un concept qui pourrait faire partie de la solution est en train d’émerger : la rénovation collective. Autrement dit, l’idée est de faire ensemble ce que l’on fait rarement tout seul. Mais de quoi s’agit-il exactement ?
Comme son nom l’indique, il s’agit principalement de rénover plusieurs bâtiments en même temps. Ces bâtiments sont sélectionnés selon leur localisation géographique (une rue, un quartier…) ou selon la typologie de logements (des maisons similaires pour faciliter la reproduction d’une solution technique très rentable, par exemple)2.
Il est important de noter que la rénovation collective n’est pas une idée neuve : elle est mise en œuvre depuis longtemps dans le cas des logements sociaux. Mais il s’agit ici de développer le concept sur le marché privé, bien plus complexe puisqu’il s’agit de convaincre de nombreux propriétaires. La rénovation collective n’est donc pas qu’une question technique liée aux bâtiments : il s’agit d’entrainer les propriétaires dans la dynamique. Au-delà d’innovations techniques (outils qui permettent des économies d’échelle), c’est également d’innovation sociale dont nous avons besoin pour ces rénovations groupées.
Que ce soit en Wallonie, en Flandre ou à Bruxelles, la rénovation collective n’est pas encore mise en œuvre à grande échelle. Pour autant, des projets pilotes se mettent en place depuis quelques années. Ces initiatives montrent que c’est possible, mais aussi qu’il existe de nombreuses manières de mettre en place ce type de rénovation, chacune ayant ses avantages et difficultés.
Quelques exemples concrets
Le projet Réno+
En Wallonie, l’initiative dont on a le plus parlé récemment est probablement le projet Reno+, mené par le consortium Buildwise, Embuild et Greenwin. Ce projet s’est clôturé avec l’expérience pilote « Braine Toiture », menée sur la commune de Braine l’Alleud grâce à un subside régional important. Il vise à développer une approche « entrepreneuriale » qui concilie accompagnement complet des candidats et économies d’échelle. Le projet inverse la logique habituelle de rénovation : ce ne sont plus les travaux qui s’adaptent au bâtiment, mais le choix du bâtiment qui s’adapte à des travaux prédéfinis. Concrètement, des techniques de rénovation standardisées sont déterminées. Dans le cas de Braine Toiture, il s’agissait de l’isolation de la toiture par l’intérieur, avec des critères d’éligibilité tels qu’être propriétaire de son logement, posséder une maison construite avant 1985, dont la toiture est peu ou pas isolée et entièrement sous combles,… Ces critères, restrictifs, éliminent de facto toute une catégorie de bâtiments du projet. Ceux-ci étaient redirigés vers EN’Hestia, une plateforme de rénovation locale.
Un partenariat avec la commune a été une condition clé du projet. C’est principalement grâce à elle que Réno+ a pu communiquer l’initiative auprès des citoyens (via le journal communal, une séance d’information,…). La commune crédibilise également l’opération, et instaure la confiance auprès des ménages.
Le principal atout du projet pour les candidats rénovateurs a surtout été la création d’un nouvel acteur facilitateur, qui a joué le rôle de contact unique et neutre entre les ménages et les autres professionnels (y compris un organisme de financement, la Société wallonne du logement social). En prenant en charge toute une série de tâches auparavant assumées par le candidat-rénovateur, les accompagnateurs de Réno+ ont considérablement simplifié le parcours du combattant qu’une rénovation peut représenter.
D’autres actions ont été menées dans le cadre de Réno +, notamment le développement d’outils informatiques. Le défi sera maintenant de les faire adopter par les professionnels du secteur de la rénovation. L’un de ces outils permet par exemple d’éviter aux différents professionnels de réaliser les mesures plusieurs fois. Un autre permet de générer automatiquement un devis provisoire (à titre indicatif) qui permet au candidat rénovateur de rechercher rapidement des financements sans attendre le devis final. Mais surtout, ce projet a été riche en enseignements (de nombreuses données ont été récoltées à chaque étape). Sur les 18 chantiers qui ont été réalisés à Braine-l’Alleud, le taux de satisfaction des ménages était très élevé (9,8/10). Or, la qualité de l’expérience est cruciale pour motiver les ménages à recommencer des travaux ou à recommander à leurs proches de faire de même. Sur base de ces enseignements, il faut maintenant parvenir à changer d’échelle.
La suite est déjà sur les rails puisque le projet Réno+ continue, avec de nouveaux partenariats dans les prochains mois avec quelques communes. Les plateformes de rénovation devraient y jouer un rôle plus important en assurant l’accompagnement pour optimiser la prise en charge des ménages qui ne répondent pas aux critères d’éligibilité. Une autre évolution est que plus de travaux (et pas uniquement l’isolation d’un type de toiture) seront éligibles dans le train de travaux. Le projet n’est aujourd’hui plus subsidié et cherche à valider un modèle économique basé sur trois piliers de financement :
- La commune, qui débloque un budget qui sert principalement à mettre en place le train de rénovation (communication, outils mutualisés…).
- Les entrepreneurs, qui réalisent des économies, notamment grâce à un meilleur taux de conversion des devis. Durant l’expérience Braine Toiture, 85% des devis qui avaient été réalisés par les entrepreneurs ont été convertis en travaux. Habituellement, un entrepreneur doit réaliser jusqu’à 10 devis pour obtenir un chantier. Il perd donc énormément de temps qui n’est pas facturé. Participer à un train de travaux lui fait donc réaliser des économies, qui peuvent être valorisées pour financer une partie de l’accompagnement.
- Les candidats rénovateurs eux-mêmes, qui financent également une partie de l’accompagnement parce que celui-ci leur simplifie la vie et leur permet de gagner beaucoup de temps. Notons néanmoins que tous les propriétaires, en particulier les plus précaires, ne peuvent pas payer cet accompagnement. Celui-ci nécessitera un financement public.
Ruenovation
La rénovation collective peut prendre de multiples directions. Le jeune projet Ruenovation, financé dans le cadre d’un appel à projets de la Région wallonne, mise plutôt sur la dynamique de groupe que sur des travaux similaires. Les ménages ne s’inscrivent pas individuellement mais constituent un dossier collectif (au moins deux ménages s’ils sont mitoyens, sinon trois). Il y a également un critère de distance maximale entre les maisons, mais aucun lié aux types de travaux. Tout comme Réno+, il s’agit d’un partenariat avec une commune, Namur.
Le principe est simple : les ménages s’inscrivent en groupe ou individuellement. Le consortium facilite la création de groupes dans ce second cas, qui remplissent alors un dossier de candidature commun. Il s’agit ici plutôt d’une innovation sociale, qui consiste à réfléchir à des manières de mobiliser les citoyens par les citoyens. L’accompagnement proposé lors des étapes de la rénovation n’est pas plus complet que ce qui est habituellement proposé par les plateformes de rénovation. Une étape importante est toutefois ajoutée : trois soirées d’accompagnement aux économies d’énergie à la maison. Cette sensibilisation supplémentaire semble cruciale pour lutter contre l’effet rebond (lorsque la consommation d’énergie n’est pas réduite par les travaux de rénovation).
Le projet a été lancé en janvier 2025 pour une durée de 30 mois, il est donc beaucoup trop tôt pour tirer des conclusions.
La Roue
Le projet Rénov-roue-rad est un projet local de rénovation par quartier dans la cité-jardin bruxelloise La Roue. À la différence des initiatives présentées précédemment, ce projet est porté par un collectif d’habitants. La mobilisation au sein du quartier permet probablement de convaincre plus facilement les habitants hésitants et les retours mentionnent un renforcement de la cohésion sociale. De plus, les maisons, construites à une même époque, ont une certaine homogénéité, critère qui n’était pas particulièrement pris en compte par les autres initiatives, et qui peut permettre de réduire les coûts d’isolation. Le projet a remporté un appel à projets européen FEDER et a obtenu 3,78 millions d’euros de financement pour les travaux de 36 maisons (et non plus uniquement l’accompagnement) ! Après deux ans de péripéties (notamment avec les services de l’urbanisme), les travaux devraient enfin débuter prochainement.
En Flandre également, les choses bougent. La rénovation de dix maisons centenaires dans le quartier « De Schipjes » à Bruges en est un bel exemple. Ces rénovations ont été accompagnées de la création d’un réseau de chaleur.
La Région flamande a lancé un appel à projets pour soutenir les administrations locales dans des projets concrets de reconversion à l’échelle d’un quartier, basés sur le concept des « quartiers climatiques ». Ce concept part du postulat qu’il existe à la fois une économie d’échelle et une opportunité de relier différents défis dans les domaines de l’énergie, du climat et de l’aménagement du territoire, en abordant cette transformation à l’échelle du quartier et adoptant une approche plus collective. Trois villes ont ainsi été soutenues : Malines, Louvain et Courtrai. La ville de Malines a par exemple encouragé la rénovation de copropriétés situées à proximité des canaux, tout en facilitant le développement d’un réseau de chaleur auquel ces immeubles d’habitation pourraient se connecter.
C’est intéressant de remarquer que ces initiatives dépassent le cadre des bâtiments individuels en profitant de l’occasion pour installer un réseau de chaleur. Les opérations de rénovation collective pourraient également s’intégrer à des projets d’amélioration du cadre de vie du quartier.
Et le reste de l’UE ?
De nombreux projets voient le jour à travers l’Europe. La rénovation spectaculaire de 1800 appartements appartenant à des ménages précaires dans le quartier d’Orcasitas à Madrid est un exemple. La dynamique a principalement été portée par une habitante des lieux, et le financement a en grande partie été porté par la municipalité et grâce à des prêts à taux réduit pour les habitants. La facture de chauffage a diminué de 80 %. D’autres exemples sont présentés dans un document de Ressources, qui présente les 10 commandements de la rénovation collective3.
Une multitude de possibilités
Il n’existe pas de méthode unique pour la rénovation collective, même si elles ont de nombreux points communs. De nombreuses initiatives se développent en Europe et en Belgique. Certaines sont mises en place par des entreprises privées (Réno +), d’autres par des collectivités locales (Ruenovation) ou encore par des groupements de citoyens (comme à La Roue). Chacune présente des avantages et des inconvénients. Si les initiatives locales créent probablement plus de confiance et emportent davantage l’adhésion des citoyens, elles pourraient avoir du mal à passer à l’échelle supérieure. Les projets plus « industriels », eux, y parviennent plus facilement. Que ce soit en Belgique ou ailleurs, les retours sur l’efficacité de l’action collective (gains de productivité, réduction des coûts, effet d’entrainement parmi les citoyens,…) sont encore trop peu nombreux… Dans la phase d’expérimentation dans laquelle nous sommes, les pouvoirs publics ont sans aucun doute un rôle de soutien à jouer. En Wallonie, on peut trouver dans la Déclaration de Politique Régionale que « la Wallonie encouragera les initiatives de type « Réno+ » visant à renforcer l’isolation et la rénovation par rue, quartier ou immeuble, de manière à générer des économies d’échelle (et donc à faire baisser le coût de la rénovation) et à renforcer la cohérence des projets dans un même lieu ». Il ne reste « plus qu’à » concrétiser cette promesse…
Merci à Damien De Bock, de Buildwise, Xavier Gillon, de la Ceinture énergétique namuroise, et Félix Kriedemann, de Rescoop, pour leur témoignage dans le cadre de la rédaction de cet article.
Crédit image d’illustration : Adobe Stock
Aidez-nous à protéger l’environnement,
faites un don !
Faites un don

