Voitures et vitesse : c’est quand qu’on s’y met ?

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Mi-novembre 2023, l’institut VIAS dévoilait son mémorandum, ensemble très cohérent de 12 mesures visant à améliorer significativement la sécurité routière sur les routes belges. Certaines mesures visent, directement ou indirectement, à un meilleur respect des vitesses maximales autorisées.

VIAS ne s’aventure cependant pas à proposer un abaissement des vitesses maximales autorisées (VMA), jugeant peut-être que voir de futurs exécutifs mettre en œuvre son ensemble de 12 mesures serait déjà quasi inespéré…

Possiblement plus utopistes, sans doute plus radicaux (au sens propre), assumant de manière sûre notre rôle de « poissons pilotes », nous continuons, de notre côté, à plaider pour un abaissement de la VMA sur l’ensemble du réseau routier. Ce point figurant en bonne place dans notre mémorandum, il nous semble utile, à quelques mois des élections, de détailler nos motivations.

En Belgique (surtout en Wallonie), même en parler est difficile…

En 2007, le service public fédéral Mobilité et Transports (SPF MT), dans sa proposition de « plan Kyoto Transport » recommandait l’abaissement des vitesses maximales autorisées (VMA) sur certaines parties du réseau routier (routes interurbaines et 2 x 2 bandes). Pour l’administration, il s’agissait de « l’une des mesures les plus efficaces pour limiter les émissions de CO2 » des transports. Le Plan, qui ambitionnait de faire baisser les émissions de CO2 des transports en Belgique de 25% en 2020, fut superbement ignoré (ou lamentablement snobé) par la sphère politique et tomba aux oubliettes… La présence de cette recommandation (et d’autres mesures « qui fâchent », dont l’une visant le régime des voitures de société …) ne fut sans doute pas étrangère à ce triste destin.

15 ans plus tard, en septembre 2022, le Ministre wallon du Climat présentait le projet de Plan Air Climat Energie (PACE) 2030. Un plan visant à mettre la Wallonie sur la trajectoire de la neutralité carbone en 2050. Parmi les mesures envisagées figurait la réduction des vitesses sur l’ensemble du réseau routier, notamment à 100 km/h sur autoroute. Cette mesure fut directement l’objet de commentaires acerbes de la part des présidents du PS et du MR et fut rejetée du PACE. Et tant pis pour la lutte contre les bouleversements climatiques. Et tant pis pour la diminution de la dépendance énergétique de notre pays. Et tant pis pour l’amélioration de la sécurité routière … Car outre des bénéfices environnementaux, l’abaissement de la vitesse induit aussi et surtout des effets positifs sur la sécurité routière, notamment celles des usagers vulnérables. C’est pourquoi nous disions aux ministres wallons, dans le cadre du PACE : si vous ne le faites pas pour le climat, faites-le au moins pour la sécurité routière.

Sécurité : l’évidence

Selon l’ETSC, « 2,100 lives could be saved each year if the average speed dropped by only 1 km/h on all roads across the EU ». L’ETSC ne « sort pas ça de son chapeau ». Mais de l’observation attentive des faits et de leur analyse scientifique. Faits qui ne cessent de confirmer ce que l’on sait de longue date et qui relève de l’évidence : quand les vitesses pratiquées augmentent, le risque d’accidents augmente, le risque de blessures corporelles augmente davantage et plus encore le risque de décès.

Le 1er janvier 2017, la Flandre abaissait de 90 à 70 km/h la VMA sur l’ensemble des routes interurbaines (de nombreux tronçons étaient déjà limités à 70 km/h). Selon l’analyse réalisée par l’institut VIAS et comparant les 3 années précédant et les 3 années suivant l’introduction de cette mesure, les résultats sont plus que probants. Sur les 956 km concernés, la vitesse V851 a diminué de 3,38 km/h sur le long terme (soit environ 4% de diminution, ceci en « effaçant » l’effet de la diminution générale des vitesses pratiquées observée sur ce type de routes), le nombre de victimes (personnes blessées ou tuées) a baissé de 10,6% et le nombre de personnes gravement blessées ou tuées a diminué de 22,7%.

En France, le premier juillet 2018, la vitesse maximale autorisée (VMA) sur les routes bidirectionnelles hors agglomération (routes à deux sens de circulation sans séparateur médian) était abaissée de 90 à 80 km/h. Deux ans plus tard, le Cerema publiait une évaluation complète des effets de la mesure sur 18 mois (deuxième semestre 2018 et année 2019). 331 décès ont été épargnés sur le réseau concerné, soit une baisse de 12%. Ceci par comparaison avec la période 2013-2017. Sur le reste du réseau routier français, l’évolution fut clairement différente, avec une stagnation du nombre de tués par rapport au niveau de référence. Ceci n’empêcha pas certains départements, dès que l’opportunité leur en fut donnée par le président Macron, de relever la VMA à 90 km/h sur tout ou partie du réseau concerné. Selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), « Le relèvement de la VMA à 90 km/h sur 39 départements aura coûté 74 vies sur l’année 2021 selon une estimation basée sur le mois de la mise en application de cette décision. Ceci correspond à une hausse de la mortalité de + 13,1 %. Sur une année « classique » le relèvement de la VMA à 90 km/h sur 39 départements pourrait engendrer un nombre de tués supplémentaires de l’ordre de 89. »

Les « retours d’expérience » sont donc plus que concluants. Et hautement interpellants. Qu’il s’agisse, comme dans les deux cas mentionnés ci-dessus, du réseau interurbain, du réseau urbain ou du réseau autoroutier. À ce sujet, il est utile de rappeler que les tronçons d’autoroutes allemandes non soumis à limitation de vitesse sont beaucoup plus accidentogènes que ceux où la vitesse est limitée2.

Inaction et oppositions : quelles logiques à l’œuvre ?

Limiter les émissions de gaz à effet de serre des transports – et donc l’ampleur des dérèglements climatiques – et diminuer le nombre de victimes de la route (personnes tuées et gravement blessés). Voilà bien deux défis fondamentaux. Comment expliquer que l’un des moyens les plus évidents d’y répondre – diminuer les vitesses maximales autorisées sur le réseau routier – continue à avoir aussi mauvaise presse, et ce dans la population comme chez les décideurs·euses ?

De multiples raisons coexistent. D’ordre psychologique et cognitif, bien sûr : sur des sujets tels que celui-là, notre capacité de discernement est fortement invalidée par plusieurs biais cognitifs3 D’ordre économique assurément. Osons le dire sans détour : la non-limitation de la VMA sur une partie du réseau autoroutier allemand ne continue d’exister que sous la pression de l’industrie automobile. Maintenir la possibilité de rouler très vite sur une partie du réseau « justifie » le fait de continuer à construire et vendre des voitures toujours plus lourdes, puissantes, rapides – voitures sur lesquelles les marges bénéficiaires sont les plus confortables … Raisons d’ordre émotionnel. Beaucoup de personnes perçoivent la réduction de la VMA comme « liberticide », « punitive ». Mais punitive de quoi, par rapport à quoi ? Est-ce punir les personnes que de leur éviter de voir mourir leurs proches sur la route ? De mourir elles-mêmes ? De devenir des meurtriers ? Punir les personnes de leur permettre d’économiser des frais de carburant ? De les aider à agir pour assurer un futur, une planète vivable à leurs descendant·e·s ? Raisons relevant de la force des habitudes, aussi. En France, rouler à 120 km/h sur autoroute est inconcevable pour de nombreuses personnes, leur référence étant fixée à 130 depuis des décennies. C’est pareil chez nous, mais avec la référence à 120 …

Pour aborder sereinement le débat, il est indispensable d’identifier (bien plus précisément que ce qui est juste esquissé ci-dessus) les raison possibles du rejet d’une grande partie de la population (décideur.euse.s compris.es) et de l’inaction de la sphère politique. Indispensable d’identifier les mécanismes sous-jacents afin de pouvoir lever les barrières qu’ils dressent devant cette mesure d’utilité publique.

Pour conclure

La réduction des limitations de vitesse est une mesure qui permet tout à la fois de :

  • diminuer les émissions de CO2 du secteur des transports ;
  • réduire la consommation de pétrole, ce qui est bon pour le portefeuille des automobilistes comme pour la balance commerciale des pays européens ; dès le début de la guerre en Ukraine, cette mesure fut proposée par une large coalition de parties prenantes ;
  • améliorer la sécurité routière, ce qui explique que l’ETSC figurait dans cette coalition.

Tout ceci avec des « dommages collatéraux » fort limités : pour parcourir 50 km à une vitesse constante de 120 km/h, il faut 25 minutes ; et 30 minutes à une vitesse constante de 100 km/h.

Dans une publication thématique de 2021, la Commission européenne renvoie au concept de « sécurité soutenable » développé aux Pays-Bas à la fin des années 1990 et dont les recommandations sont régulièrement mises à jour depuis (la mise à jour en 2018 propose une « échelle de vitesses » plus détaillée) :

  • 30 km/h sur les routes où existe une possibilité de conflit entre voitures et usagers vulnérables ;
  • 50 km/h sur les routes présentant des risques de conflits transversaux entre les voitures ;
  • 70 km/h sur les routes avec des risques de conflits frontaux entre voitures (routes interurbaines sans séparateur médian) ;
  • 100 km/h ou plus sur les routes où ces risques n’existent pas.

Ce sont là les recommandations adoptées par Canopea dans son memorandum pour les élections 2024, à ceci près que nous proposons de ne pas dépasser 100 km/h sur autoroute pour limiter les impacts environnementaux (consommation d’énergie et donc émissions de gaz à effet de serre).

S’il fallait encore une source d’inspiration supplémentaire : en septembre 2023, le Gouvernement irlandais publiait un rapport relatif à l’évaluation des limitations de vitesse sur le réseau routier et manifestait sa volonté d’en mettre en œuvre les recommandations, soit d’abaisser lesdites limitations4. Ceci, soulignait le ministre des Transports irlandais, dans l’objectif de faire baisser significativement le nombre de personnes tuées et gravement blessés sur les routes, l’efficacité de la mesure ayant été définitivement établie. Ce 03 janvier 2024, cette volonté était confirmée par Monsieur Chambers, ministre des Transports, comme annoncé par l’Irish Independent : les mesures annoncées seront effectives fin 2024.

Et en Wallonie, c’est quand qu’on s’y met ?

Crédit image d’illustration : Adobe Stock

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  1. La vitesse V85 définit la vitesse en dessous de laquelle circulent 85 % des véhicules en vitesse libre (non contrainte par la circulation des autres véhicules)
  2. Courbe P. 2019. LISA Car – La voiture de demain. Namur : Inter-Environnement Wallonie, p. 41-42
  3. A ce sujet, voir par exemple https://www.usabilis.com/definition-biais-cognitifs/ ou https://actualites.uqam.ca/2021/reconnaitre-biais-cognitifs-pour-mieux-contourner/
  4. Sur l’ensemble du réseau à quelques exceptions près, voir ici : https://www.gov.ie/en/press-release/7773d-government-publishes-speed-limit-review-report/